jeudi 15 mai 2008

De la propagande au goût de hachis Parmentier


Il y a un travers de la nature humaine qui m’a toujours beaucoup amusé.
Un travers qui est aussi le signe distinctif de notre beau génie français ; nous aimons la resquille, les objets tombés du camion, le « pas vu pas pris du légionnaire »
Nous montrons ainsi, à nos voisins, à nos proches, que nous sommes plus malins qu’eux, en possédant quelque chose qu’ils n’ont pas !
Ainsi prospère depuis toujours, la vanité hexagonale de nos compatriotes.
Une vraie culture, une vraie marque de fabrique, comme le béret basque, la baguette sous le bras, et le canon de rouge au bistrot !
Et ce travers remonte à loin ! Très loin !
Si loin qu’un pharmacien de l’armée royale, sous le bon roi Louis XVI
appelé Antoine-Augustin Parmentier va s’en servir magistralement !
Tout le monde sait qu’il a introduit la culture de la pomme de terre en France !
Mais il dut faire face à une résistance acharnée de la population qui avait peur de ce tubercule du diable !
C’était en quelque sorte les OGM de l’époque.
Alors il fit cultiver un champ.
Et quand les tubercules arrivèrent à maturité, il fit garder le champ par des soldats du Roi, et ceci nuit et jour, à raison d’un soldat tous les dix mètres !
Les gens intrigués se demandèrent ce qu’il y avait de si extraordinaire à garder.
Ils passèrent très vite de la curiosité à l’imagination pleine de rêves cupides !
Ils se mirent donc à voler les patates la nuit !
Les gardiens avaient, bien sûr, reçu la consigne de ne rien voir !
Et c’est ainsi que l’on put faire bientôt du hachis Parmentier dans les chaumières de France et de Navarre !
Que faut-il admirer le plus ?
La rouerie malicieuse d’un apothicaire ou l’espièglerie cupide de nos compatriotes ?
Hum ! Je vous laisse réfléchir !

dimanche 11 mai 2008

La traque mafieuse

Georgio est un chef mafieux à l’ancienne. Il règne sur toute la ville de Chicago.
A coups de flingue, de crimes, de 11,43, il a réussi à faire le vide autour de lui. Le chef, c’est lui, à présent!
Oui mais voilà ! La cupidité est une soif inextinguible !
Surtout chez les truands !
Quelques petits malfrats sans envergure continuent à régner dans leur quartier respectif, en vivant grassement de leurs petits trafics et de l’exploitation d’un cheptel de «gagneuses » bien sages et bien tenues en laisse.
Ils sont discrets dans leurs commerces coupables.
Ils ne dérangent personne. Pas même la police qui en a besoin pour sa moisson quotidienne d’informations.
C’est alors que l’infâme Georgio, et son clan d’abominables, concoctent un plan diabolique pour faire main basse sur le commerce de tous ces petits indépendants.  Pour cela Georgi convoque le vague neveu d'un pote à lui avec lequel il est en affaires, "Ben le basané", un incapable fini, un oisif fortuné, d’une nullité crasse qu’il décide d’embaucher pour une tâche sordide, autant que mystérieuse.
Tout d’abord, rien ne se passe. Puis un jour, c’est le drame !
Un hôtel contrôlé par la bande à Georgio est victime d’un incendie criminel !
On déplore de nombreuses victimes dont des « potes » du caïd !
Qui a osé commettre ce crime de « lèse-majesté ? »
La fureur (feinte) de Georgio est à son comble !
Il convoque tous ces lieutenants !
L’enquête ne traîne pas !
Pas moins de 24 heures plus tard, il a la « preuve formelle » que c’est ce renégat, ce pourri, ce cloporte de "Ben le basané" qui a fait le coup !
C’est l’hallali !
Un contrat implacable pour tueurs à gage est lancé contre le malfaisant !
Les représailles sont impitoyables !
Les frères Mustapha, soupçonnés d’avoir accueilli l’incendiaire sont froidement abattus, un soir d’automne, dans le restaurant turc où ils dînaient depuis toujours. Pendant des mois Georgio rumine sa rage, et soigne son image de Chef mafieux impitoyable qui cherche sa vengeance !
Les imprécations interminables pleuvent sur le maudit Ben et ses complices !
Mais celui-ci en bon gars obéissant aux ordres secrets de son patron, voilà-t-y pas que le prurit journalistique lui prend soudain.
Il envoie au « Chicago Tribune » un tas d’articles où il reconnaît que c’est lui le coupable, et qu’il est bien content d’avoir fait çà, na !
Et que tous les pourris du genre de Georgio seraient mieux à six pieds sous terre, au lieu de faire chier le monde!
Fureur décuplée « mais fausse » de Georgio qui fait semblant de s’étrangler de rage quand ses lieutenants lui lisent ces articles !
Car sa cible secrète, il faut bien le savoir maintenant, c’est Sam le Hâbleur ; Un truand ombrageux, à la moustache noire et au caractère aussi imprévisible que dangereux ! Sam le Hâbleur possède lui aussi un beau troupeau d’hétaïres et un réseau de trafic de drogue très important que notre Georgio convoite depuis longtemps en secret.
Mais l’homme est retors et rusé !
Il a déjà eu maille à partir avec lui. Une guerre sanglante avait eu lieu entre les deux clans, du temps du père de Georgio !
Sam le Hâbleur avait eu le dessous. Ses principaux lieutenants avaient été tués. On en était arrivé, après des semaines de combats sanglants, à une sorte de statu quo, sans paix ni guerre.
Des hommes à Georgio continuaient de le surveiller, nuit et jour, dans son quartier, qui était devenu, par la force des choses, une sorte de camp retranché.
Alors Georgio commence sournoisement son travail de sape. Il fait courir le bruit partout, que "Sam le Hâbleur" veut étendre son commerce, en terrorisant ses voisins. Il le fait passer pour un fou dangereux.
Il dit même, pour preuve de ce qu’il avance, que Sam possède un stock de gros calibres dans les caves de son repaire, pour éliminer ses adversaires. Sam écoute ses ragots en haussant légèrement les sourcils !
 Alors les vieux chefs de clan, que ce conflit gène dans leur tranquillité, envoient des émissaires neutres fouiller le repaire de Sam. Ceux-ci font choux-blanc, au grand agacement de Georgio qui n’arrête pas ses imprécations et ses calomnies pour autant !

_Et puis, si c’est comme çà ! Je vais y aller tout seul, moi, pour fermer la gueule de ce petit mac à la mie de pain !

Mais la « famille » mafieuse renâcle ! Des voix discordantes se font entendre devant les appétits mal cachés de ce trublion irascible !
Dom Giacomo, et Dom Villepeno sont des vieux de la vieille. Ils ne doivent leur survie qu’à beaucoup de sagesse et de prudence. Ils connaissent le prix du sang.
C’est ainsi que Don Villepeno l’interpelle un jour, de sa voix rauque et mourante :

_Dis petit ! Tu commences à nous les briser, avec ton Sam le Hâbleur ! Nous, on veut pas avoir des histoires à cause de toi, et de ton appétit de carnassier insatiable !
Si tu n’as pas la preuve de ce que tu avances, il n’est pas question que nos hommes aillent se faire trouer la peau pour toi !

T’as compris, jeune morveux ?


C’est alors que Georgio sort son « joker », il commence à faire courir le bruit que "Sam le Hâbleur" serait en cheville avec Ben le basané !
Les ricanements insolents qui se font entendre dans le milieu mafieux, provoquent des spasmes nerveux sur la figure de Georgio !

_Les salauds ! Ils me paieront ces insultes ! Je leur ferai rentrer leur insolence dans leurs sales petites faces de rats ! Puis il se mit à téléphoner à un mystérieux correspondant.
Le lendemain, toujours dans le « Chicago Tribune », on pouvait lire ce bel article de "Ben le basané" :

_Oui, Sam le Hâbleur est mon copain ! Et alors ? J’en ai pas honte ! Même que nous sommes ensemble pour combattre des ordures du genre de Georgi et toute sa clique de faisans ! 

A l’autre bout de la ville Sam, qui vient de lire l’article, sent ses cheveux se dresser sur sa tête ! Une sueur glaciale et malsaine se met à perler sur son front !
Le claquement sec d’un pistolet automatique que l’on arme résonne dans le couloir de l’hôtel que Georgio et sa bande viennent de quitter !

_A nous deux, maintenant, espèce de cloporte de mes deux ! Sam le Hâbleur fut abattu après une longue chasse à l’homme, dans un quartier mal famé de Chicago !
C'est ainsi que Georgio triompha de "Sam le Hâbleur". Mais d'autres se mirent à trembler dans la ville d'Al Capone! Ainsi va le monde des truands et des mafieux! Heureusement que nous n'y vivons pas nous-mêmes!
Vous vous rendez compte de l'enfer que ce serait?

Toute ressemblance avec des faits ou des personnages existants ou ayant existés, ne serait que le pur fruit du hasard ou que celui de mon imagination fertile.

Petit lapin gambadant

Quelle belle image que ce petit lapin gambadant dans la prairie, sous mes yeux, ce matin, dans la lumière dorée rasant l'herbe verte.
Prisonnier de nos tas de ferraille puants et bruyants, écoutant à longueur de temps des inepties journalistiques qui nous décomposent l'âme et la cervelle, nous oublions de profiter des beautés de Dame nature. Je ne suis pas du tout un "écolo" (quelle horreur!), mais je n'en apprécie pas moins, comme aujourd'hui, la vue d'un lac engoncé de verdure, dont l'eau d'un vert émeraude bouillonne de vapeurs glacées.
Petit lapin qui bondit du plaisir de vivre dans la luzerne généreuse, comme j'envie ta liberté!

lundi 28 avril 2008

Les timides à la caserne


Dans mon automobile moderne et silencieuse, une bécasse à la voix suave débite une annonce publicitaire pour une représentation théâtrale, comme une phtisique sur le point de mourir.
Je sais bien qu’il faut savoir ménager les nerfs du « tomobiliste »,
mais quand même !
Vous avez sûrement reconnu cette chaîne de radio, dont la regrettée Sophie Daumier en avait fait un sketch savoureux !
Et là ! Oh stupeur, j’entends le titre de la pièce qui me plonge plusieurs décennies en arrière, au temps « glorieux » de mon passage sur la base aérienne d’Orange.
Il s’agit du « Timide au palais » !
C’est une pièce de Tirso de Molina, auteur espagnol célèbre du 16ième siècle.
Déjà, je sens que vous vous en foutez royalement, et que vous ne saisissez pas très bien le rapport qu’il peut y avoir entre une base aérienne, et une pièce de théâtre d’un vieux « kroum » dont les 9/10 d’entres-vous n’ont même jamais entendu parler!
Alors, je vous explique.
Sur cette magnifique base de l’armée, en ce beau mois de mai 1968, qui s’annonçait chaud pour de multiples raisons, les distractions étaient fort rares, pour les « punis » et les pauvres malheureux qui n’avaient pas de « perm » de « ouikande ».
Heureusement pour moi, j’avais fait la connaissance d’un camarade vachement sympa, gentil, réservé, qui partageait mes goûts, mes passions, et surtout savait écouter mes longs bavardages.
Nous étions tellement amis, que nous en étions devenus totalement
inséparables.
« Montaigne et La Boétie », « Castor et Pollux », « Voltaire et Frédéric II », « Roux et Combaluzier », mais quand même pas « Bouvard et Pécuchet » !
Sinon, je me fâche !
Donc, pour toutes « distraction » nous avions le « cinoche » sous un hangar en tôles ondulées, aussi confortable qu’un sauna finlandais, sans la possibilité de se foutre à poil, et une minuscule salle de télévision, dans le « foyer du soldat » !
Les films, dans cette salle « art et d’essais » pour bidasses désoeuvrés,passant tous les dimanches valaient largement ceux que Monsieur le Curé de Saint-Locdu-sur-Charentaise donnait les jeudis après-midi, à sa troupe de louveteaux et de scouts !
Il n’y avait pas de quoi émoustiller la libido d’une bande de gamins de vingt ans ! C’est moi qui vous le dit !
Or, il advint cette chose extraordinaire, qu’un jour le programmateur de la base, dans un moment de pure « folie », décida de nous faire visionner :
« Angélique, Marquise des Anges ! »
La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre !
Comme on écrit dans les romans de « Monsieur Arlequin » !
Car, à notre belle époque pré-soixantehuitarde, la série des « Angélique » passait pour des œuvres quasiment licencieuses !
Et la plastique de Michèle Mercier provoquait des sécrétions nocturnes chez tous les bidasses en manque de tendresse et de sensualité !
Bref ! Ce fût presque l’émeute devant le cinoche !
Deux mille excités se pressèrent devant les portes de l’étuve cinématographique.
De mémoire de projectionniste de la base, on n’avait jamais vu ça !
C’est tout juste, s’il ne fallut pas faire appel à la police militaire pour rétablir la discipline.
Et pendant ce temps-là ? Hum ?
Devinez un peu ? Si ! Si !
Je crois que vous avez compris !
Deux « timides » bien peinards, en regardait un troisième, à la télévision, sous les traits de Dominique Paturel, se débattre dans les affres de l’amour.
Ah ! On n’a pas été dérangé !
Et nous avons passé une excellente soirée !
Le seul et très léger inconvénient, c’est que nous sommes passés pour des « pédés » par nos copains de chambrée, totalement hermétique à notre goût pour le théâtre espagnol du 16ième siècle.
Ah les préjugés, je vous jure !
Après bien des années, et bien de mûres réflexions, en pensant à mon charmant camarade, dont j’ai même oublié jusqu ‘au nom et au prénom, je me demande sincèrement si……. !
Bof ! Et puis quelle importance, hein ?

mercredi 23 avril 2008

Solidarité féminine

Comme les temps changent, et que les mœurs évoluent!
Hier je regardais pour la nième fois le chef-d'œuvre impérissable de l'éternel John Ford: "L'homme tranquille"! Revoir la flamboyante "crinière" de Maureen O'Hara est toujours d'une sensualité renouvelée!
Qui ne se souvient pas de l'homérique bagarre de la fin du film!
Mais il y a sûrement un détail cocasse et savoureux qui vous a échappé!
Une petite scène de rien du tout, mais qui, dans le contexte matriarcal et féministe de notre début de siècle, vaut son pesant de décalage insolent!
Alors que ce « macho » de John Wayne traîne sa "pauvre victime" comme un barda encombrant, sous les regards salaces et pervers de la foule villageoise en délire, une femme d'un certain âge s'approche du couple infernal en pleine crise conjugal.
Elle tient un bâton noueux, sorte de branche d'arbre mal dégrossi à la main.

_Tenez mon brave Monsieur, c'est pour battre votre femme quand elle ne sera pas sage!

Je suis absolument interloqué par le fait de ne pas comprendre comment une telle scène, d'une obscénité et d'une violence aussi grande, n'ait pas été censurée à notre époque par les responsables de la chaîne qui diffusait ce film!
Vous imaginez ce scandale?
J'espère que nos féministes acharnées, n'ont pas assisté à ce spectacle infamant! Vous imaginez le choc émotionnel qui a dû ravager leurs petites âmes sensibles et délicates, à ces pauvres chéries?
Il faudrait au plus vite établir un comité de surveillance et de censure pour supprimer toutes ces "horreurs" des productions cinématographiques, littéraires et musicales!
Cela devient urgent!
On ne devrait plus entendre cette chanson de Boris Vian chantée par une écervelée:
"Johnny, Johnny…fais-moi mal"
ou encore, plus récemment une jeune péronnelle susurrer ;
"Bouscule-moi un peu !"
Non mais! Et quoi encore ?

Le "machisme" ne triompherait plus si des traîtresses irresponsables ne lui prêtaient plus assistance, d’une manière aussi irresponsable!

mardi 15 avril 2008

L'avion de l'ambassadeur

Le poste de police de la base aérienne de Bou Sfer était bien fréquenté quand j'eus la joie et le bonheur d'y faire un séjour prolongé.
C'est que les « mauvais garçons » punis pour « mauvaise conduite » y étaient très nombreux.
Normal! Que vouliez-vous faire pour vous distraire, à 2500 kms de chez vous, dans un endroit désertique où la seule « réjouissance » était de cramer au chalumeau les punaises qui envahissaient votre plumard!
Nous n'étions pas réellement en prison. Nous faisions ce que le règlement militaire appelait pudiquement de la « salle de police »!
C'est à dire que dans la journée, nous travaillions tout à fait normalement, mais que le soir, au lieu de rejoindre nos camarades dans nos chambrées, nous allions au poste de police, dormir dans de belles cellules réservées spécialement pour nous!
Au risque de passer pour un farfelu, et pire, pour un malade mental, je vous dirais que j'étais ravi de rejoindre ma cellule, tous les soirs!
Pour plusieurs raisons; la première, c'est qu'elle n'était pas envahie de punaises qui vous bouffait le corps toutes les nuits, et la deuxième, c'est qu'il y régnait un calme, une paix seulement brisée par les hurlements de quelques coyotes et quelques fennecs, dans la nuit algérienne!
Sons mille fois plus mélodieux et harmonieux que les braillements d'ivrognes et de fêtards qui se prolongeaient parfois jusqu'à une heure du matin, dans des chambrées enfumées de mauvais tabac!
Et puis j'étais entouré, dans la salle commune, avant l'extinction des feux, par une troupe de joyeux drilles, dont un « guitariste » futur instit.
Celui-ci, dans un épanchement de confidence, nous narra l'aventure qui lui valait ce séjour « trois étoiles » parmi nous.
Il travaillait à l'escale, c'est à dire en bord de piste de l'aérodrome, dans de grands hangars, à des tâches administratives plus ou moins obscures.
Un jour, il reçoit la nouvelle stupéfiante de la venue de l'Ambassadeur de France en Algérie qui doit passer par Bou-Sfer!
Cet apprenti fayot de l'Education nationale téléphone immédiatement et directement à notre colonel commandant la base pour l'avertir de la « bonne » nouvelle.
Celui-ci, un sanguin apoplectique, et surtout très imbibé d'alcool, est tétanisé par l'évènement!
En moins de temps qu'il ne faut à un légionnaire moyen pour écluser sa « botte » de bibine et notre officier supérieur rapplique dare-dare avec la clique de la Légion sur le tarmac de la base.
Pour les quelques ignards qui ne le sauraient toujours pas, une « clique » n'est pas un rassemblement de « malfaisants » ou de « voyous vindicatifs » mais un orchestre militaire!
Le tapis rouge est déployé. Les soldats sont impeccablement bien alignés. Notre colon, les gants blancs (beurre frais) , et l'uniforme irréprochable fond comme un glaçon sur une plaque chauffante, au soleil impitoyable du désert tout proche!
Enfin l'avion fait son approche. C'est un vieux DC3 fatigué qui a fait toutes les guerres coloniales de la France.
Il se pose. Il vient se garer très sagement devant cette garde d'honneur, et coupe ses moteurs.
La porte s'ouvre. La musique retentit. Et sortent ......deux sous-off en tenue de vol cradingue, visiblement ahuris de l'accueil qu'on leur réserve!
Le colonel se précipite, angoissé.

_Où est l'ambassadeur, messieurs?
_Quel ambassadeur, mon colonel?
_Mais il ne devait pas venir?
_Non, mon colonel! C'est juste son avion que nous amenons pour une visite technique!

Hou! La! La! Dans le regard au bord de l'apoplexie, d'un colonel ainsi ridiculisé devant sa troupe, la vision d'un soldat se faisant fusiller de douze balles dans la peau a dû passer dans le crâne du colonel.
Il l'aurait bien étranglé lui-même, mais se contenta de lui infliger trente jours d'arrêt de rigueur!
Voilà pourquoi je me suis farci pendant dix jours, tous les soirs, le massacre de « jeux interdits » à la guitare, par un futur « tortionnaire » d'élèves!
Heureusement, « mai 68 » n'était pas loin.
Sans être devin, ça m'étonnerait qu'il leur ait raconté son exploit, à ses futurs cancres!
Il est des « actes de bravoure » qu'il vaut mieux garder pour soi!

« Mister Ed » Mon bon samaritain (5)

Les civilités et les politesses passées, il fallut que cette brave famille Gluth
traîta le « produit exogène » le plus rapidement possible.
Ils connaissaient mon problème et voulurent le régler à l'américaine!
C'est à dire, avec célérité et efficacité!
Manque de pot, un visa « touriste » est aussi difficile à changer en « carte verte » aux Etats-Unis que pour un français de parler du montant de sa fiche de paye.
C'est vous dire l'exploit impossible que cela représente!
A propos de fiche de paye, Mister Gluth me déclara un jour qu'il gagnait deux cents dollars par semaine!
Il se serait foutu à poil devant moi, que ma gêne n'aurait pas été plus grande! Vous vous rendez compte? Dire ça à un Français, sans précaution?
Et à un étranger par dessus le marché?
Quelle impudeur, ces Américains, je vous jure!
Aucune crainte du fisc ou de l'envie de leurs voisins, ces pauvres américains!
Ils sont d'une naïveté sans bornes!
Une fois, longtemps plus tard, j'ai voulu coller ma fiche de paye sur la porte de mon bureau!
J'ai failli être lynché par mes collègues!
On ne plaisante pas, en France, avec ce que vous donne votre patron!
C'est définitivement « secret » et « tabou »!
Montrer ses fesses et ses parties génitales, à la rigueur!
Mais sa fiche de paye? Ça? Jamais!
Pour revenir à ma « green card », je n'eus pas la même chance que Gérard Depardieu eut dans le film du même titre.
C'est pas à moi, que serait arrivé le bonheur d'être hébergé par une Andy MacDowell de rêve!
Madame Gluth étant aussi « sexy » que son robot culinaire, rutilant et dépourvu du moindre « germs ».
Mais ils sont partis vaillamment « en guerre, » pour le sauver « le soldat Gérard », avec courage et détermination.
Ils firent d'abord jouer leurs nombreuses relations des « témoins de gévéor ».
Et Dieu sait si elles étaient hétéroclites et variées.
Mais le mieux, c'est que je vous dresse le portrait individuel de chacun d'eux.

Tout d'abord, j'eus la joie immense de rencontrer un commandant de bord, pilote de 737 sur une petite compagnie aérienne.
Car le privilège qu'il m'accorda, est absolument unique dans ma vie, et totalement impossible à renouveler de nos jours.
Pour des raisons que chacun comprendra aisément!
Figurez-vous que j'eus le privilège insigne de visiter, grâce à lui, la tour de contrôle de Chicago O'Hare, qui était le plus grand aéroport de la planète.
Un de ceux dont le trafic est l'un des plus denses de la terre. C'est lui qui servir de modèle pour le mythique film catastrophe: « Airport »
Je visitais même « l'approche », salle des radars où dans autre film mythique:
« Y a-t-il un pilote dans l'avion », un contrôleur farfelu transforme son « scope » en machine à laver le linge!
Mais, même pour balayer les hangars, je ne fis pas l'affaire.
Ils me trimbalèrent un soir, dans une belle propriété perdue au fond d’un bois où séjournait un juge, qu’ils nomment là-bas, un « attorney » !
Rien n’y fit !
C’est alors qu’ils m’emmenèrent à Chicago. Nous grimpâmes dans un immense gratte-ciel pour entrer dans un bureau, vaste comme un hall de gare, pour rendre visite à un pote à eux.
Civilités, sourires politesses, et puis, retour à la case départ!
Quand nous fûmes sur le trottoir, Madame Gluth se pencha à mon oreille et en montrant le sommet de ce vaste machin de béton, me susurra sur le ton de la confidence secrète: « His own »!
Voyant mon incompréhension totale, elle répéta: « his own »!
Malgré mon anglais sommaire, je finis par comprendre qu'elle voulait me dire que le gratte-ciel appartenait à l'homme que nous venions de voir!
C'est vous dire l'ampleur de leurs relations!
Plus sordide, je fus trimbalé dans un vaste hôpital où l'on embauchait des employés de salle pour les corvées d'entretien et de nettoyage!
Vous décrire mon « enthousiasme » serait superflu.
Je touchais le fond du désespoir et de la déprime!
Mais le plus beau m'était réservé pour la fin.
C'est quand je vis les drapeaux américains et les uniformes militaires que je commençais avoir des doutes!
Ben ouais! C'était bien ça! J'ai failli partir pour le Vietnam!
Oui! Oui! M'sieurs dames!
Ils n'avaient rien trouvé de mieux que de me faire enrôler dans l'armée pour résoudre mon problème de visa!
Heureusement pour moi, les Etats-Unis ne connaissent pas l'équivalent de
notre « Légion étrangère »!
Comme la baguette, le béret basque, la pétanque, le beaujolais et la tour Eiffel, elle est « Only french »!
Non mais? Vous me voyez dans la plaine des jars? A Saigon?
Bon! J'aurais été sur les traces de mon père, lorsque que
le Vietnam était encore « l'Indochine »!
Mais ce pèlerinage familial ne m'aurait pas ravi outre mesure!
A leur décharge, cela partait d'une bonne intention! Et puis, je ne pouvais rien refuser à mes hôtes!
Nous touchions le fond du désespoir. Il fallut tristement se rendre à l 'évidence!
Je ne serai jamais un citoyen américain!
Heureusement, la famille, dans son infinie bonté, voulu bien m'avancer le prix du billet de retour!
C'est ainsi que je passais encore le Noël aux Etats-Unis, avec, quand même en prime, l'aventure de Frank Borman tournant autour de la lune, dans son vaisseau Apollo!
Les adieux furent déchirants, dans l'aérogare!
Les deux représentantes du sexe féminin chialant comme il se doit, et Mister Gluth hilare et débonnaire comme tous les hommes qui voient leur problème se résoudre!
Car, nous les hommes, nous sommes d'un égoïsme et d' une « insensibilité » proverbiale! C'est bien connu! N'est-ce pas mesdames?
Il m'a quand même offert un « silver dollar », un « Kennedy » fort rare, en guise de cadeau d'adieu!
Je pris alors le boeing 707 d'Air France, immatriculé « FBHSH »pour être précis!
Je le sais, car j'allais l'avoir sous le nez, pendant des années, dans mes fonctions aux Aéroports de Paris!
Je voyageais donc un soir de réveillon du nouvel an, au-dessus de l'atlantique!
Nous n'étions que cinq passagers à bord! Pas un de plus!
On nous avait regroupés à l'avant de la cabine (pour ne pas nous perdre!)
On a quand même eu droit au champagne.
Mais je me souviendrais toute ma vie du film diffusé pour nous « distraire »! Imaginez un écran au fond de la cabine! C'est un film d'aventures! Bagarres, poursuites en voiture, etc..!
Jusque là, ça va!
Mais soudain, les protagonistes, un « gentil » et un « méchant » se retrouvent dans un avion! Plus précisément dans la cabine de pilotage!
Là, je ne sais pas si vous comprenez ce qui se passe!
Ils se battent comme des chiffonniers, bien sûr!
Et qu'est-ce qui arrive fatalement, à votre avis?
Oui! C'est ça!
L'avion par en vrille et plonge vers le sol!
Le seul petit défaut c'est qu'en fonction des turbulences, et de voir cet écran au fond de la cabine, j'avais l'impression horrible que c'était NOTRE avion qui partait en vrille, et qui fonçait vers le sol!
Je me suis toujours demandé quels étaient les parfaits abrutis qui avaient décidé de passer ce genre de film dans les avions de la compagnie Air France!
Enfin, l'aurore s'épanouit à travers les hublots pour chasser tous ces vilains cauchemars, et la délivrance fut proche.
Quand nous nous sommes posé à Orly, la toute première impression que j'eus, et qui me reste encore dans l'esprit, c'est d'avoir eu le sentiment de débarquer dans un tout petit aérodrome de province!
Je vous jure que c'est vraiment la sensation que j'ai eu!
Mais ce « petit aérodrome de province » allait devenir pour de longues années mon lieu de travail, celui que j'ai choisi, que j'ai aimé, qui est attaché à mon âme pour toujours!
Quant à ma charmante petite famille américaine, si vaillante, si généreuse, qui m'a accueilli sans se poser de question, sans rien me demander, je l'ai lâchement oubliée, enterrée dans mes souvenirs, au point de ne même plus savoir ce qu'ils sont devenus.

Cher « Mister Ed » qui ne me dira plus « one day more, one dollar more », je pense que dans son paradis, il doit me regarder de son bon sourire et doit m'avoir pardonné mon ingratitude à son égard!
Que ces quelques lignes écrites pour lui en soit la modeste réparation.

jeudi 3 avril 2008

« Mister Ed » Mon bon samaritain (4)

Un jour, Monsieur Gluth m’emmena visiter son lieu de travail, dans la grande ville de Chicago.
Il n’était pas un grand ponte de la finance, ni même un chef d’entreprise, au vu de sa belle et confortable maison ! Non !
Il était comptable dans un abattoir de Chicago. Un modeste employé d’une grande entreprise.
Là encore, quand on connaît un peu sa géographie, et que l’on a entendu parler des célèbres abattoirs de Chicago qui ravitaillent en viande tous les Etats-Unis, on se dit que c’est d’une banalité suspecte ! Et que je suis allé au plus facile !
Ben, pourtant, c’était la stricte vérité.
Donc, nous avons pris son « paquebot » à quatre roues, et emprunté les fameux « highway » !
Sur ces rubans de béton, j’ai assisté à un phénomène curieux que je ne devais plus jamais revoir ailleurs ! Et je dis bien ; jamais !
Tous les véhicules qui roulaient à nos côtés, le faisaient strictement à la même vitesse.
A un point tel, que j’avais la furieuse impression d’être sur un tapis roulant géant.

J’ai commencé par apercevoir la masse sombre de la ville se détachant sur l’horizon.
Bientôt nous pénétrâmes dans cette cité de « gangsters », chantée par Frank Sinatra, qui s’y connaissait bien en matière de voyous et mauvais garçons.
Ma première impression fut celle d’un écrasement terrifiant devant ces immeubles géants.
Je ne les voyais pas si rapprochés les uns des autres. Je compris alors, instinctivement et définitivement que j’étais un être de la campagne !
Puis il me revint en mémoire ces vers de mon enfance, ânonnés pour ne pas être puni, mais qui prenaient ici soudain toutes leurs saveurs :

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine

Merci Monsieur Du Bellay, et merci mes professeurs qui m’avaient forcé à l’apprendre !
Ouais ! Car à ces immeubles effrayants, à ces phallus prétentieux, dressés par la vanité des hommes, j’aurai toujours plus de goût pour les courbes féminines des collines, pour les jolis mamelons verdoyants, pour les forêts aux buissons prometteurs cachant de tendres ébats !
Cette vie de termitière, comme notre héroïque Saint Ex la nommait, ne m’a jamais attiré.
Comme ils sont merveilleux mes petits villages de la campagne française, à côté de ces enfers d’acier et de béton !
Même si je dois faire de la peine à des « aficionados » de la vie amerloque, la vision que j’eus de cette ville est un cauchemar sans nom. L’architecture de ces villes est d’une laideur repoussante. Le moins que l’on puisse dire, c’est que leur souci d’esthétisme, en matière d’urbanisme est nul ! On met le métro aérien sur des piliers d’acier qui traversent les rues, les pâtés d’immeubles aux murs de briques d’un gris poussiéreux, et d’une tristesse à faire chialer un napolitain amoureux !
Pour parfaire le tableau, j’arrivais donc, dans le bureau de Mister Gluth, et comme il se doit, dans un vieil immeuble cradingue en brique rouge. Il me présenta à ses collègues et me fit les honneurs de son lieu de travail. Sordide et conventionnel à souhait ! Il y avait même le classique, « l’éternel » poiscaille empaillé avec son rostre vengeur, l’œil vitreux qui trônait au-dessus de nous ! Il avait l’air de se « tartir » sévère ! Et devait regretter son océan natal autant que moi, ma banlieue parisienne !
Oh ! La ! La ! Que je passais là des moments « passionnants » !
Heureusement, même les cauchemars ont une fin, et nous repartions le soir vers la banlieue qui m’apparaissait soudain, comme un « jardin d’Eden » oublié, après ces séjours forcés au purgatoire de cette ville industrieuse.
Monsieur Gluth avait une curieuse habitude quand il conduisait sa voiture. Bien que déjà d’un certain âge, il écoutait une musique à faire avorter un troupeau d’éléphantes enceintes.
Ça hurlait, ça criait, cela se voulait sûrement moderne et la page, mais c’était une vraie torture pour tympans ordinaires, à base de débauche de décibels !
Un jour, n’y tenant plus, je lui demandais, fort civilement, si c’était réellement ses goûts musicaux !
_Non mon cher « Djirareux » mais ça me tient éveillé ! ça me permet de ne pas m’endormir au volant ! C’est une question de sécurité !

Ah ! ça ! On ne risquait pas de piquer une petite ronflette !
J’arrivais donc à la maison, un acouphène bourdonnant et tenace dans les oreilles, mais….éveillé !
De temps en temps, avant d’arriver, on se faisait une petite escapade dans les environs, car Mister Gluth avait un « vice » inavouable et inavoué pour les ….sucreries ! Vice qu’il devait farouchement cacher à miss « choucroute », comme on cache une maîtresse !
C’est ainsi que nous nous retrouvions, tous les deux, les deux seuls adultes, à faire la queue au milieu de moutards qui ne devaient pas avoir plus de dix ans, et qui nous arrivaient à peine à l’estomac, devant un marchand de barbe à papa ou de pop corn !
Je bénissais le ciel, dans ces moments-là, pour que mes copains d’enfance, et surtout mes potes de régiments, ne me vissent pas dans cette situation pour le moins ridicule.
Mais en franchissant le seuil de la maison, j’avais encore droit au sempiternel :
_One day more, one dollar more !

vendredi 28 mars 2008

Les petits ruisseaux…

Un matin, comme des milliers de citoyens provisoirement impécunieux, je dois passer à ma banque pour retirer un chéquier.
Ma femme me dit :
_Profites-en pour retirer 50 euros !
J’entre dans la succursale où attendaient déjà quelques assoiffés de pognon, comme mézigue ! Cette banque récemment privatisée, n’est pas notre banque habituelle.
J’ai oublié la carte bancaire correspondante, mais pas celle de ma banque habituelle.
Comme je passe au guichet, je ne m’inquiète pas de ce détail sans importance !.
Je m’emmerde un tantinet en attendant mon tour, et mes yeux traînent un peu partout !
Même pas une belle petite croupe, un beau petit rangement à fruits bien mûrs et bien ronds pour se rincer les mirettes et faire passer le temps!
Que des mâles pas engageants !
C’est alors qu’ils tombent (mes yeux ! Pas les mâles !)
sur une affiche présentant les barèmes des opérations bancaires.
Et qu’y lisent-ils ?
« Les retraits de liquidités effectués au guichet et qui pourraient l’être dans nos distributeurs automatiques sont facturés 5 euros » !
Des yeux à mon cerveau, il se passe toujours un « certain temps » !
Et puis dans les grandes carcasses comme la mienne, l’influx nerveux est plus lent à circuler ! Surtout un samedi matin, quand vous êtes encore « ensuqué » par les « folies festives » de la veille !
Mais quand je comprends « enfin » que pour pourvoir retirer le pognon que m’a réclamé ma charmante épouse, je dois « cracher au bassinet » exactement 10% de la somme en plus, la révolte gronde sauvagement dans ma cervelle !
Silencieusement, rassurez-vous !
J’ai alors pris mon nouveau chéquier, mais je suis allé à l’autre banque, à cent mètres de là, retirer « gratuitement » mes 50 euros !
Enfin « gratuitement » ?
Je commence à avoir des doutes !
Les banques ?
Une belle machine à arnaques !
(J’ai failli oublier le « s » à « arnaques » !)

samedi 22 mars 2008

Un instant magique

Qui n’a pas connu le brouhaha joyeux, et les cliquetis des couverts, dans un self-service d’entreprise ?
Le mien se situait au deuxième étage de l’aérogare d’Orly.
Un jour, je m’y assois comme d’habitude pour « claper » en paix, avec deux ou trois collègues.
A deux mètres de nous, un vieux noir mangeait solitaire, la tête penchée sur son assiette.
Sa salopette bleue, d’une crasse indéfinissable, indiquait qu’il devait travailler dans quelque service d’entretien peu glorieux.
Son air lugubre et triste n’attirait pas l’attention.
C’est vous dire, si dans l’insouciance de notre jeunesse nous n’y accordions pas plus d’importance qu’au portemanteau sur lequel étaient accrochées nos affaires !
Soudain, alors que nous devisions sûrement sur
un sujet « vachement » important pour nos jeunes cervelles, un son incongru et puissant sembla sortir de nulle part.
Le vieil homme noir se mit à chanter.
Sa voix profonde et grave monta dans la pièce, comme un cataclysme imprévisible.
Il chanta le plus beau « negro-spiritual » que je n’avais jamais entendu.
Vous dire que la salle entière fut pétrifiée dans un silence quasiment religieux serait d’une banalité touchante. Ce fut pourtant le cas !
Même ces connes de mouches restaient immobiles sur leur morceau de sucre !
Il chantait avec une émotion, une conviction, un lyrisme à faire chialer une armée de policiers chinois ! Toute la détresse d’une histoire tragique nous sauta à la figure, nullement invitée dans nos petites vies douillettes et tranquilles.
Nous fûmes plongés instantanément dans les champs de coton de la Louisiane
Il ne s’était même pas levé pour chanter, et semblait le faire uniquement pour lui-même, en ignorant les gens qui l’entouraient.
Quand les dernières notes se turent, le silence qui suivit marquait encore notre profond bouleversement. Mais une déflagration d’applaudissement vint l’interrompre brutalement.
Alors, « l’artiste improvisé » se leva, salua la foule avec politesse et déférence, puis se remit à manger, comme si tout cela n’avait pas la moindre importance.
Certains vont encore renauder en pensant que cet incident banal ne mérite aucune attention.
Pour moi, plus de trente longues années après, il m’émeut encore !
Faut-il être bête ! N’est-ce pas ?

vendredi 14 mars 2008

« Mister Ed » Mon bon samaritain (3)

Les jours suivants, je nageais dans un brouillard dépressif et cafardeux, très inquiétant.
Une sombre déprime m’avait atteint, malgré la bienveillance de mes « sauveteurs » !
J’avais perdu mes repères, et j’étais plongé dans un monde totalement étranger, sans même pouvoir m’exprimer correctement, car mon anglais était des plus rudimentaires. Mais on fait vite des progrès quand la nécessité vous pique les fesses ! C’est ainsi que je fus bientôt presque en mesure de tenir une conversation. A tel point qu’un soir, au cours d’un repas, et pour montrer toute la reconnaissance et toute l’amitié que j’avais pour ce grand peuple américain, je me lançais dans un grand discours lénifiant et dithyrambique sur la vertu et le courage « légendaire » des compatriotes de « Mr Ed ».
Je vis alors un sourire s’allumer dans l’œil de « Mr Ed » !
(Je traduis directement, car je ne vais pas me lancer dans un américain que j’ai aussi vite perdu que je l’avais appris !)

_Mon cher Gérard ! Je t’arrête tout de suite ! Le peuple américain n’est primitivement constitué que de toute la racaille, de tous les paumés, de tous les malfrats, de tous les voyous, de tous les emmerdeurs religieux, et de toute la lie sociale dont l’Europe voulait se débarrasser en priorité ! Et ceci a constitué le noyau du « peuple américain » !

Plus modeste et réaliste que ça, c’est difficilement possible !
Pour leur compte, les Gluth étaient d’origine suédoise !
D’ailleurs, il suffisait de les examiner tous les trois, pour comprendre qu’ils n’avaient émigrer du Mozambique !
Un véritable archétype de la race aryenne comme les aimait un cinglé notoire !
Toute la région des grands lacs était peuplée alors, d’une population d’origine nordique et germanique !
Et les Gluth en était un élément vachement bien représentatif !
Heureusement pour ma consolation, mes journées étaient égayées par les spectacles extraordinaires que me faisait vivre cet engin magique et merveilleux que j’avais découvert, chez mes tarés familiaux : la télévision couleur !
Car, vous ne pouvez pas imaginer tout ce que j’ai vu de passionnant
de là-bas !
Tout d’abord les Jeux Olympiques de Mexico !
Et il s’en est passé des « choses » durant ces jeux !
C’est ainsi qu’un soir, Mister Ed faillit avaler son whisky de travers !
Lui et moi, on vit cette chose incroyable :
un sauteur en hauteur, arriver devant la barre, lui tourner le dos !
Oui ! Lui tourner le dos, et sauter par-dessus celle-ci !
Nous vîmes, pour la première fois au monde, le « Fosbury flop » !
Bon ! D’accord !
Je suis aussi sportif qu’un tabouret de bar !
Mais quand même !
C’était un évènement historique, que même moi, je sais apprécier !


Autre évènement historique concernant ces jeux ; le geste incroyable des athlètes noirs américains ; Tommie Smith et John Carlos !
Le poing dressé et la tête basse !









Mais le plus beau, le plus merveilleux, le plus extraordinaire, ce fut cet instant magique, juste le jour de Noël, où l’astronaute, Frank Borman lut un verset de la Bible, juste avant que son vaisseau spatial, ne disparaisse derrière la lune, et reste ainsi muet pendant plusieurs minutes ! Trois hommes perdus dans l’espace, à trois cent mille kilomètres de la terre, dans une minuscule « boite de conserve » en aluminium !
C’était pour nous une émotion extraordinaire, et que je vivais dans le pays même de ceux qui en étaient les artisans !


Ce fut la mission Apollo 8, celle qui précéda, l’arrivée des Américains sur l’astre des nuits, l’année suivante, avec Apollo 11 et Neil Armstrong !
D’ailleurs, les Gluth, en bons chrétiens qu’ils étaient, lisaient la Bible en même temps que Frank Borman !
Instant vraiment extraordinaire et magique !
Donc, question « télé » j’étais gâté par les évènements.
Côté traditions familiales, ce ne fut pas mal non plus.
J’eus droit à « l’abominable » fête d’Halloween que des marchands de soupe tentent vainement de nous imposer en France, pour combler leur manque à gagner entre la fin des vacances et les fêtes de Noël ! .
Mais aux « Staïstes » c’était quand même plus charmant et rigolo, car on y bénéficiait de l’authenticité locale.
Surtout quand je vis un père accompagnateur, en short, un bob retourné sur la tête, assis, les genoux repliés, dans le traîneau à quatre roues
de son gamin !
Des spectacles comme celui-ci, aurait déclenché, au bout de dix minutes, un attroupement hilare et moqueur, au pays de Voltaire et de Descartes, qui est le mien !
Mais dans ce grand pays, le ridicule vestimentaire ne tuait plus depuis longtemps !
Bon ! Je sais que depuis cette époque glorieuse, nous les avons largement rattrapés, dans ce domaine là !
Mais à l’époque, cela choquait encore (ou plutôt amusait !) le jeune européen que j’étais !


Ah ! Et le “Thanksgiving Day” Voilà de l’étouffe chrétien, sous la forme d’une énorme et brave dinde qui ne demandait rien à personne !
Surtout pas qu’on lui bouffe sa chair farineuse et sans goût !
Il faut vraiment être amerloque pour apprécier cette bestiole un peu cruche et sans saveur !
Il me fallait pourtant faire honneur à cette grande fête familiale et patriotique !
Comme vous pouvez le constater, je fus vite intégré comme membre à part entière de la famille. Il faut dire que le calme, la gentillesse, l’équilibre psychique et mental de ses trois membres, tranchaient d’une manière absolue d’avec celle de la famille « Derviche hurleuse » qui, hélas, aurait du être la mienne, de l’autre côté de la rue !
Mais que voulez-vous ! On ne peut pas échapper à son destin !

vendredi 7 mars 2008

Coq en panne et poules frondeuses

La ferme du brave Eusèbe se situait dans un trou perdu de la campagne française, un de ces « trou du cul du monde » comme le regretté Pierre Desproges les nommait ainsi, quand il parlait de la belle ville de Melun !
En fait de « trou du cul », c’était plutôt ceux de ses poules qui l’intéressait le plus, car ceux-ci lui pondaient de beaux et magnifiques œufs qui assuraient un ordinaire, certes modeste, mais dont notre brave fermier se contentait aimablement !

Un ordinaire qu’il partageait avec Eglantine son épouse depuis….. !
Oh et puis à quoi bon préciser ! Tout le monde s’en fout, et moi le premier.
Le couple avait aussi quelques hectares de cultures, qui représentaient l’essentiel de leurs revenus.
Ils y vivaient très chichement, très pauvrement, mais paisiblement, à la fin du compte !
La grande fierté d’Eusèbe, c’était son poulailler !
Ah ! Son poulailler !
S’il n’y avait pas eu Eglantine, il y aurait même dormi dedans!
Ce qui lui arrivait régulièrement, quand un excès de libation poussait son épouse à le flanquer hors du logis conjugal !
Ses poules, il les chérissait comme ses propres enfants !
Enfants, que la cruelle Nature avait refusé de lui en donner les joies de la paternité!
C’était un poulailler très modeste dont le cheptel ne dépassait pas une dizaine d’animaux, mais c’était un hôtel « trois-plumes » pour cocottes et coq en pâte !
La volière était faite d’une belle construction en bois. Elle était propre, et pimpante !
Chaque animal avait son box empli de paille douce et propre. Les deux vastes portes, aux extrémités de la pièce, donnaient sur une immense pelouse, où le peuple à crête rose vaquait et pérorait à son aise. Un vrai paradis de poules pondeuses !
C’était son « jardin secret » à l’Eusèbe !
Sa « danseuse entretenue », sa fierté comme d’autres le sont de leur voiture de luxe, de leur piscine, de leur clebs « pédigree-péteurs », de leur vélo de course, de leur chiards, de leurs maîtresses, de leur bonsaï « made in China » acheté à la superette du coin !
Comme il se doit, il régnait sur ce « gynécée » à plumes,
un « maître » incontesté ! ;« Pavarotti » !
Oui ! Je sais ! C’est surprenant, pour un nom de coq !
Mais la culture lyrique de notre brave Eusèbe était des plus restreintes!
Il était donc allé au plus célèbre, et au plus connu, pour baptiser celui qui chantait tous les matins, pour annoncer au monde, qu’il était là, fier de ses plumes, de sa crête de rubis, et de son autorité virile sur la gente pondeuse !
Ah ! Qu’il était beau, l’animal !
Avec son poitrail chatoyant, son regard altier, ses petits coups de tête à la cantonade, pour repérer le fessier offert d’une belle poulette de passage.
Pavarotti avait bien un « rival » en la personne d’un jeune coquelet de cinq mois, mais celui-ci, par son comportement un peu « fragile » et « émotif », surtout peu enclin à « cocher » nos pondeuses, ne portait nullement ombrage à la belle santé reproductrice de notre « Chantecler » Le père Eusèbe, dont un petit verre de « gros plant » matinal, allumait le regard, ne manquait jamais d’assister, chaque matin, au concert matinal du ténor de sa basse-cour.

_Alors ! qu’est-ce que c’est-y qui va nous chanter c’matin,
L’Pavarotti, ?


L’interpellé penchait sa petite tête et de son petit œil rond, examinait son « proprio » d’un air interrogatif et légèrement méprisant !
Et pour bien montrer qu’il se foutait « royalement » de ses remarques insolentes, poussait son hymne quotidien à la gloire de la vie campagnarde..
Dans le troupeau à plumes, on distinguait d’autres
« personnalités » dont une succincte et rapide description est nécessaire pour comprendre les nœuds secrets de cette histoire dramatique.

Alonza était une jeune poulette, non encore reproductrice, mais au caractère déjà bien trempé.
Ses nombreuses prises de becs avec ses « consoeurs » commençaient à faire jaser, et agaçaient pas mal les vieilles pondeuses qui ne supportaient pas toujours son regard hautain, sa faconde, et ses airs supérieurs de « jeunette » qui sait tout, avant même d’avoir commencé à vivre !
Elle n’était même pas jolie !
Et Pavarotti l’ignorait superbement !
Ceci expliquant peut-être le caractère acariâtre de la donzelle.
Hélas, pour le plus grand malheur de tous, et pour la suite funeste de l’histoire ;
c’était l’intellectuelle de la bande !

Steemy faisait toujours rire nos pondeuses à cause de sa démarche chaloupée, qui tentait d’une manière ridicule, de les imiter. C’était un petit coq fragile et délicat. Il avait bien commencé par pousser quelques petits cris, un matin, pour imiter son grand ténor d’aîné, mais le son qui était sorti de son gosier, ce jour là, était si minable, si fluet, si peu puissant, en un mot, si ridicule, qu’il en éprouva une honte définitive !
Depuis, il se gardait bien de toute poussée sonore intempestive, en présence de son glorieux aîné ! Mais vous connaissez comme moi, la gente féminine et son irrépressible besoin de consoler le malade, le faible, et souvent aussi le truand, la feignasse, l’alcoolique, et pour tout dire, le ….taré intégral !
Ceci vous fera comprendre pourquoi il devint, malgré sa « fragilité », le chouchou protégé de ces dames !
D’ailleurs, celles-ci l’acceptaient sans vergogne dans leurs conversations intimes. Elles étaient reconnaissantes du fait que, « lui » au moins, par sa « sensibilité », les comprenait !
C’était pas comme ce balourd, ce rustaud de Pavarotti qui, s’il leur procurait bien ces petites sensations, ces plaisirs secrets auxquels elles ne pouvaient résister malgré tout, n’était qu’un être « primaire » et « frustre » dont on ne pouvait rien attendre de plus, qu’une brève saillie furtive de reproducteur prétentieux ! Ainsi allait la vie paisible de notre poulailler.
Les saisons passaient. L’hiver, tout ce petit monde vivait calfeutré dans la masure.
Le père Eusèbe couvait (c’était bien son tour ! ) avec soin son cheptel aviaire, pour que ses petites pensionnaires ne prennent pas froid.
Mais le beau printemps arrivait pour chasser les vilains frimas, et l’été dardait rapidement ses rayons prometteurs !
Et cette année là, il promettait d’être caniculaire !
Ce qu’il fut. Les journées étaient torrides, et les nuits peu rafraichissantes.

Alonza avait chaud. Le poulailler dormait paisiblement en cette étouffante nuit d’été. Les ronflements de ses consoeurs l’empêchaient de réfléchir.
Si ! Si ! Ça ronfle une poule !
Tous les dessins animés de Tex Avery, et de Walt Disney, nous le prouvent à l’envie !
Notre brave poulette avait un défaut supplémentaire ;
elle était insomniaque !
Et ça tournait ferme (sans jeu de mot) dans sa cervelle de poule !
Il serait préjudiciable à la bonne suite du récit de croire que la petite cervelle d’une gallinacé ne peut pas réfléchir comme un gros cerveau d’humain suffisant.
Bref ! Allonza s’emmerdait sec, puisqu’il faut dire les choses crûment, comme elles se présentaient alors.
N’y tenant plus, elle sauta de son perchoir pour sortir de cette étuve duveteuse et trop sonore à son goût. Plongée délicieusement dans la relative fraîcheur de la nuit, ses petites pattes la portèrent irrésistiblement vers la maison du père Eusèbe.
Une des fenêtres donnant sur la cour était faiblement éclairée, et son intensité variait brusquement d’une manière mystérieuse.
Si mystérieuse qu’Allonza se crut obligée de sauter sur le rebord pour savoir quel était le curieux phénomène provoquant ses halos bizarres et fugaces.
A sa grande stupeur, elle vit le père Eusèbe affalé dans un fauteuil, devant un engin étrange, qui diffusait une image en couleur.
Le paysan avait la bouche ouverte et cuvait, comme à son ordinaire, ses trois ou quatre litres de mauvais pinards quotidiens. Eglantine écossait des petits pois dans une écumoire. Activité désuète, que nos jeunes générations ne comprennent pas plus, qu’ils ne comprendraient le tissage de la laine sur un rouet!
Les ronflements de chaudière emballée de son poivrot de mari empêchait Eglantine de suivre le débat télévisé portant sur la condition féminine, et la nouvelle position des femmes dans la société moderne !
Un coup de pied vengeur dans le fauteuil tentait bien de faire taire, de temps à autre, cette horrible pollution sonore, mais en vain.

_Bon Dieu d’sac à vin de merde ! Tu vas t’y pas te taire ! Tu pourrais pas cuver ta vinasse « alieur » !
Car Eglantine avait de la conversation !

L’interpellé poussait un grognement qui semblait plus sortir d’une bauge à cochon, que de la bouche d’un être humain. Ce qui avait quand même l’avantage de procurer quelques précieuses secondes de répit, à notre écosseuse de petits pois, pour suivre le débat qui la passionnait. Une aussi, qui n’en perdait pas une miette, c’était notre Allonza ! Son petit œil rond collé à la vitre semblait enregistrer, tel un objectif de caméra, tous les mots de la conversation télévisuelle. Au bout du cinquantième coup de pompe, et parce que l’émission était terminée, Eglantine se leva pour éteindre le poste, et se dirigea vers la fenêtre pour en fermer les volets. Notre poulette affolée se jeta en bas du mur, et couru de sa démarche clopinante vers son poulailler salvateur. Cette nuit là, sous une crête plus échauffée que d’habitude, un petit cerveau vrombissait à la manière d’un hachoir électrique, et de sombres pensées en éclaboussaient les parois !

Pavarotti s’ébroua, s’épousseta, fit battre ses ailes, tressaillit du bec, et de la crête. Puis, d’un pas hautain et vaniteux, lent comme une pensée de sénateur, se dirigea vers son tas de paille sèche, le fumier n’étant plus assez noble pour ses ergots délicats. Là, de petits coups de tête périscopiques, précédèrent son chant glorieux et sonore. Le concert dura un petit moment. Moment que notre animal appréciait au plus haut point. C’était les seuls instants de la journée où sa vanité pouvait s’exprimer sans complexe.
La « levée des couleurs » étant terminée, notre parangon à plumes se sentit des poussées impérieuses qui ne souffraient d’aucune attente. Et le premier cloaque qui passa à sa portée fut le bienvenu !
Mais soudain, sa sérénité fut troublée par une rumeur étrange venue de l’appentis, d’où ses dames n’étaient pas encore sorties pour picorer leur population
« de vers et de vermisseaux ».
Ceux-ci ne se plaignirent pas du sursis ainsi accorder à leur petite vie dérisoire et alimentaire. Ça bavassait ferme sous les crêtes rubicondes qui tressaillaient sous la passion des conversations. Des coups d’ailes hystériques ponctuaient certaines phrases bien senties par une Alonza très remontée ! Pavarotti s’avança prudemment pour savoir de quoi il pouvait bien s’agir. Mais soudain, un silence étrange se fit à l’approche du « seigneur des lieux ». Les becs de ces dames s’étaient brusquement celés comme par un mot d’ordre secret. Pavarotti en tressaillit de surprise ! Elles le dévisagèrent soudain comme s’il était devenu brusquement un étranger qu’elles voyaient pour la première fois ! Il en fut si désarçonné qu’une pierre qu’il n’avait pas vu failli le faire trébucher, perdant ainsi encore un peu plus de sa superbe. Et devant son cheptel, encore ! Mais une cervelle de coq n’est pas assez grande pour emmagasiner trop de soucis, et de questions en une seule fois. C’est ainsi qu’il continua sa petite journée, peinard et sans changer ses habitudes pour autant. C’est le lendemain que les choses prirent un tour légèrement plus dramatique. Pavarotti, qu’une envie pressante chatouillait depuis un moment, se rua sur la première poulette qui passa à sa portée. Mal lui en prit ! Au lieu de la soumission attendue, et du plaisir assouvi rapidement, il fut la victime d’une volte-face de la « promise », et d’un violent coup de bec sur son poitrail multicolore !

_Gare tes fesses, malotru !

La stupeur, encore plus que la colère, provoquèrent chez le gallinacé mâle une sorte de vertige qui l’empêcha de sévir, comme il eut été en droit de le faire !
C’était la première fois de son existence qu’il était victime d’une rebuffade pareille !
Reprenant pourtant vite ses esprits, il se dit, pour lui-même, et surtout pour se consoler, que cette poule devait avoir quelques dérangements secrets des intestins qui la poussaient, la malheureuse, à des extrémités aussi insolentes !
Ses « envies » ainsi brutalement coupées, il ne songea plus à cocher de la matinée. Mais heureusement que l’esprit des coqs, autant que celui des hommes, oublie vite ce genre d’incident. Donc, après une petite sieste réparatrice, notre « seigneur et maître » reprit sa « chasse » interrompue.
Il avisa la « rouquine », une poule dans la force de l’âge, une de celles qui ne font aucune manière, et dont Pavarotti faisait habituellement son ordinaire avec gourmandise et volupté. Comme il s’apprêtait à grimper joyeusement cette femelle, celle-ci, à l’instar de la précédente, lui fit face avec fureur !

_Non Mais ? Tu ne prendrais pas mes fesses pour un « baisodrome » des fois ?
_Mais « Titine » ? Qu’est-ce qui te prend ?
_Il me prend que j’en ai marre de sentir ton sale « cloaque » sur mon duvet propre !
Et puis je veux être libre de mon corps, à présent !

« Libre de son corps » ? Pavarotti n’en était plus à la colère, à présent, mais à l’interrogation existentielle et métaphysique à propos d’un phénomène qui le dépassait ! Ce qui lui causa une forte migraine, manifestation clinique dont il n’avait pas l’habitude !
_Mais qu’est-ce qu’il leur prend, à ces idiotes ? Un coup de chaleur ?
Son trouble fut si manifeste, et sa céphalée si prenante, que le reste de la journée lui fut morose et déprimant ; Son moral en subit un contrecoup puissant.
Le lendemain matin, l’Eusèbe, qui passait comme à son habitude pour voir son ténor à plumes, s’inquiéta de constater chez son « poulain » une méforme évidente !
Méforme dont le résultat fut un « cocorico » légèrement foireux et dont les nombreuses fausses notent traduisaient un état d’âme en berne !

_Eh ben ! L’Pavarotti ! C’est-y que t’aurait pris un coup de froid? Ou alors, c’est-y qu’t’abuse de ta santé auprès d’mes poulettes ? Sacré bandeur, va !

Car l’Eusèbe était un fin observateur de la vie sexuelle des gallinacés !

Comme vous l’avez déjà constaté, ceux-ci comprennent parfaitement bien notre langage, et le coup d’œil assassin du coq aurait du alarmer Eusèbe !
Le « Pauvre con ! » mental que lui adressa un Pavarotti en colère, était aussi « sonore » que le meilleur de ses « cocoricos » !
Revigoré par cette saillie « intellectuelle », notre animal se dit qu’il devait réagir sainement et courageusement devant ces évènements perturbateurs.
Il réussit à se convaincre que le mâle c’était lui, et qu’il se devait à lui-même, ainsi qu’à la bonne santé mentale et physique de toute la basse-cour, de montrer qui commandait sur son territoire ! Ah ! Mais !
C’est ainsi, que conquérant et regonflé à bloc, il se précipita sur la « Roussette » une vieille pondeuse inoffensive, au bord de la décrépitude !
Courageux ! Mais pas téméraire !
Les nombreuses « saillies » subies par la pauvre poule, au cours de sa douloureuse existence, devaient lui garantir un succès facile !
Ah ! la ! la ! Le malheureux !
Mal lui en prit ! (J’aurai pu écrire aussi : « mâle lui en prit )
Non seulement il subit une raclée sévère de la part de sa partenaire, non volontaire, mais une horde de poules en furie vint l’assaillir et le battre comme plâtre ! Pendant plusieurs minutes ce ne fut que cris, fureur, volées de plumes, de duvets, de coups de pattes et d’ergots. C’est par miracle, si notre ex-flambard en sortit vivant !
La crête froisée, les plumes arrachées, couvert de poussière, et même d’excréments, notre pauvre Pavarotti n’était plus que « l’ombre de lui-même », comme on l’écrit des milliers de fois, dans des romans à deux balles !
Mais le plus dur, pour lui, ne furent pas ses souffrances physiques !
Non ! Ce serait trop simple ! Il dut se « farcir » pendant un temps qui lui sembla interminable, un discours lénifiant sur la nouvelle condition des poules, et le respect que celles-ci attendaient désormais de leur coq ! Quand il regagna son coin, dans le poulailler, il était tellement assommé par le sort, les soucis, et le dépit, qu’il s’écroula comme une masse sans vie. La fin du coq glorieux et fier de lui venait de sonner tristement! Les jours qui suivirent furent les plus sombres de la vie de notre ténor champêtre. Eusèbe s’inquiétait de cette méforme chronique dont était frappé son coq. Il se confia à son épouse pour savoir s’il ne devait pas appeler le vétérinaire de la ville. Mais celle-ci fut d’un avis contraire qu’elle exprima, comme à son habitude, d’une manière plutôt fleurie :
_Si c’t’animal est aussi feignasse que toi, ça m’étonne qu’à moitié ! Tel maître, tel animal !
Car Eglantine était une fine psychologue !

Bon ! L’Eusèbe se le tint pour dit, mais dans sa caboche un nouveau soucis germa, et il se promit de surveiller son poulailler avec un peu plus d’attention que d’habitude. Les jours qui suivirent, ne virent pas le moral de notre pauvre coq remonter.
L’Eusèbe était de plus en plus inquiet.
Mais un beau matin, la catastrophe survint.
L’Eusèbe qui s’était levé plus vasouillard que d’habitude, finissait dans sa cuisine son troisième verre de « gros plant » quand lui parvint à travers la porte de la maison un bruit ou plutôt, un cri qui ne lui était pas familier.
Son inquiétude grandit quand il remit les bretelles de son pantalon pour sortir et voir de quoi il retournait.
La foudre d’un bel orage d’été n’aurait pas eu plus d’effet sur notre fermier que cette vision d’horreur qu’il eut soudain devant les yeux !
Une poule, montée sur le tas de foin habituellement réservé à Pavarotti, s’escrimait à imiter celui-ci par des « cocoricos » féminins d’un ridicule consommé.
La musique n’y était pas, et encore moins, la belle puissance virile de notre ex-clairon champêtre. Une fureur noire et assassine remplaça brutalement la paralysie temporaire de notre brave paysan.
Il se précipita avec une célérité, et une vigueur qu’il ne se connaissait plus depuis des siècles, sur cette « incongruité scandaleuse » !
Le formidable coup de pompe dans l’arrière train que se prit une Alonza insolente, fit comprendre à cette dernière, que sa nouvelle fonction avait du mal à se faire accepter par ce balourd, ce macho, ce pèquenot, ce sac à vin minable d’Eusèbe!
Elle y laissa quelques plumes et quelques touffes de duvet !
Mais, elle l’aurait à l’usure !
« Foi d’animal, intérêt et principal » !
Dans sa razzia vengeresse, Eusèbe cherchait à présent ce couard, ce déserteur de Pavarotti !
Lui faire çà ! A lui !
A lui, qu’il choyait, qu’il admirait tous les matins, qu’il bichonnait comme son propre fils !
Ah ! Il allait voir de quel bois se chauffait un Eusèbe en colère !

_Ça va chauffer pour ton matricule ! Sacré bon dieu d’animal !
Et si ça suffit pas, je connais une bonne recette de « coq au vin »
qui lui fera une belle oraison « funeste » !

Car Eusèbe avait de la religion !

Il entra dans le poulailler à la recherche du
« traître » et du « renégat » !
Et ce qu’il vit alors lui coupa définitivement les jambes ! Pavarotti, coincé entre deux pondeuses…….COUVAIT !
L’échange de regard entre l’homme et l’animal prit beaucoup plus l’allure d’une stupéfaction douloureuse et réciproque, que celle d’un sentiment de colère !

_Mais quoiqu’c’est-y que tu branles là ? T’es malade ou quoi ?

Je vous épargne-le :
« Mais qu’est-ce que tu nous couves ? »
Que certains, à juste titre, trouveraient un peu facile et vulgaire !
Le pauvre gallinacé, qu’une déprime définitive et mortelle taraudait depuis plusieurs jours, eut pourtant ce sursaut d’indignation, cette lueur de révolte, de l’ampoule qui jette un dernier éclair avant l’extinction définitive !

_Si cet enfoiré aviné me fait encore une toute petite réflexion,
« je lui vole dans les poils »
L’expression « voler dans les plumes » eut été ridicule de sa part, dans le cas présent !
Mais il n’eut pas le temps de réagir qu’un Eusèbe, par sa colère vengeresse retrouvée, le flanquait par terre, et le poussait vers la sortie, de la même manière qu’il fit comprendre à Alonza qu’elle n’était pas non plus à sa place !
C’est ainsi que notre pauvre Pavarotti se retrouva dehors, au soleil, le moral encore plus enfoncé dans ses ergots que d’habitude.
(Oui ! Vous avez déjà compris que son moral pouvait difficilement être
« enfoncé dans ses chaussettes » !)
Il dut subir, mais sans s’émouvoir outre mesure, un torrent d’invectives, d’éructations assassines, de postillons vinicoles, de la part d’un Eusèbe dont le foie malmené continuait à entretenir la colère !
Heureusement Eglantine veillait !

_T’as pas fini d’gueuler comme un « viau » !
« Va plutôt arroser l’champ d’maïs !
Car Eglantine était une pacifiste !

Les jours qui suivirent, furent des jours de déprime absolue !
Tant pour Pavarotti, qui continuait à couver, sous les regards vigilants
de ses « matones » à plumes, que pour notre brave Eusèbe qui n’osait même plus jeter un regard sur ce qui fut sa fierté.
Il poussait la désespérance jusqu’à mettre la radio à fond, lorsque que montait, dans le matin clair, les quelques notes foireuses et grotesques d’une Alonza triomphante !
Attitude d’une lâcheté sans nom qui agaçait bien évidement, sa compagne !

_Tu d’viendrais pas sourdingue, avec ton pinard, des fois ?
Car Eglantine était mélomane !

Il n’avait plus goût à rien, le pauvre homme !
Même son « gros plant » avait un goût amer et acide !
Les rares fois où il osait s’aventurer près de l’enclos, il ne faisait même plus attention à l’étrange spectacle d’une couvée de poussins qui suivait un Pavarotti traînant un accablement pénible à voir !
C’est que dans le poulailler livré à lui-même, les choses ne s’arrangeaient pas du tout.
Les discussions allaient toujours bon train, autour d’une Alonza remontée, et qui se remettait difficilement de son altercation avec le fermier.
Il faut dire que son croupion douloureux savait le lui rappeler, à chaque fois qu’elle tentait de se reposer !
Maintenant que le problème de la liberté sexuelle était résolu, on s’attaqua joyeusement à celui du contrôle des naissances.
Ces dames en avaient assez d’être des pondeuses reproductrices !
Elles exigeaient d’avoir des poussins, quand elles le voulaient, et au nombre qu’elles voulaient ! Le programme fut d’autant plus facile à tenir, que Pavarotti n’était plus en état de faire quoique ce soit !
Dans son accablant malheur, Pavarotti eu un allié surprenant.
Steemy, que la situation dramatique de son congénère avait quand même fini par émouvoir, se dit en son for intérieur,que les choses étaient mûres, pour faire connaître à son aîné des plaisirs compensateurs, que celui-ci avait longtemps méprisé, par ignorance
et surtout par préjugé, bien sûr !
On les vit donc ainsi, tous les deux, en grandes conversations, pendant de longs moments, accompagnés par des gloussements moqueurs et sans pitié des femelles aux aguets de leurs confidences intimes.
Quand je parle de conversation, le mot est très légèrement galvaudé.
C’était plutôt un monologue, un cours magistral et unilatéral donné par un Steemy à un coq dont la pupille terne, et le regard absent, montraient à l’évidence, que si le corps était toujours là, l’esprit s’était déjà évadé depuis longtemps de sa petite boite crânienne.
Pavarotti n’était plus qu’un automate de chair et de sang.
Du côté de l’Eusèbe, les choses ne s’arrangeaient pas non plus !
Sa consommation de pinard, encore moins !

_Mais tu va « zarriver » à nous foute sur la paille avec ta vinasserie de m’erde !
Car Eglantine avait le sens de l’économie !

Les travaux des champs s’en ressentaient aussi !
Et ça, c’était infiniment plus grave !
La saison avançait, il fallait faire les moissons, et un tas d’obligations paysannes qui ne souffraient d’aucun retard.
Eglantine, un beau matin, faisait le ménage dans la modeste cuisine du logis, tout en ressassant les sombres soucis que lui causait son intempérant de mari.
Soudain, comme une explosion cataclysmique, la porte de la pièce s’ouvrit sur un Eusèbe au comble de la fureur et de la folie meurtrière !
Il passa en trombe devant sa femme, sans même la voir !
Se saisit de la vieille pétoire accrochée à un clou, et qui n’avait pas servi depuis
la guerre de 1870 !
Il mit ostensiblement deux cartouches dans le fusil
tout en regardant sa femme d’un air terrifiant !

_Eusèbe ! Tu vas t-y pas faire des conneries ?
Car Eglantine était une âme inquiète !

Sans une réponse à sa dramatique interrogation
le « vengeur à la pétoire » était déjà sorti dehors !
Le « char d’assaut » s’arrêta devant l’enclos de la volière.
L’Eusèbe, sur le visage duquel coulait à présent deux grosses larmes de désespoir, contemplait un spectacle affligeant et obscène :
Steemy cochait un Pavarotti soumis et amorphe !
Quand l’ex-gloire du poulailler tourna sa tête, et vit deux énormes trous noirs pointés sur lui
Il sut que sa souffrance et son martyr arrivaient enfin à leur terme !
La double détonation fit tressaillir Eglantine dans sa cuisine.

_Pourvu que c’te couillon, y m’fasse pas veuve, avec tout le boulot qu’y reste à faire !
Car Eglantine était une sentimentale !

Elle fut rassurée quand elle vit sur le pas de la porte, un Eusèbe blême, extatique, le fusil en bandoulière, et tenant par le cou, les corps inertes des deux délinquants sexuels !

_Bah ! C’est pas avec des conneries pareilles que t’auras des poussins c’t’année !
Car Eglantine était toujours une fine observatrice !

Ce qui ne l’empêcha pas de plumer avec ardeur et dextérité nos deux « cadavres » !
Mais comme l’Eusèbe aurait été incapable d’avaler, ne serait-ce qu’une miette de sa défunte fierté à plumes, il fut décider d’aller les vendre à Mohamed dit « Momo » le rôtisseur ambulant de la place du marché dominical.
Et nous étions, comme par le plus grand des hasards, dimanche !
C’est ainsi qu’Eusèbe vendit les deux coqs au marchand, quand il alla faire son tiercé habituel au café du village.
Quand il revint, un peu plus tard, il vit les deux beaux poulets, sur la rôtisserie verticale, bien rôtis, succulents à souhait !
Eusèbe avait une grosse boule dans la gorge, et l’étreinte d’une émotion irrépressible, le fit chialer comme un enfant.
Dans le poulailler, l’ambiance était légèrement plus détendue, et plus gaie.
Si la disparition de ce brave et « charmant » Steemy les avaient plongées dans une tristesse sincère, et de bon aloi, par contre, la disparition de Pavarotti les laissa de marbre !
Et une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, elles n’avaient plus rien à craindre pour leur maternité non désirée.
Alonza triomphait !
Elle avait eu la peau de cet imbécile, de ce grotesque, de ce prétentieux, de cet inutile, de ce parasite de Pavarotti !
Elle en tressaillait de bonheur ! Elle riait !
(si ! si ! Ça peut rire une poule !)
Elle exultait ! Mais ce qui la mettait dans une joie proche de l’extase, c’était de savoir que ce sac à vin d’Eusèbe, ce tortionnaire imbécile, avait procédé lui-même à la mise à mort de ces deux crétins de coq ! Double triomphe !
Elle reprit donc ses discours lénifiants pour expliquer comment désormais, on pouvait se passer de ces balourds de mâles, même dans les plaisirs secrets !
C’est qu’elle en avait appris des choses, grâce à la « lucarne magique » de chez le père Eusèbe ! Une semaine passa durant laquelle celui-ci ne décuva pas d’un seul jour !
Eglantine vivait ainsi un veuvage virtuel !
Elle pensa appeler un médecin, mais les finances de la maison n’étant guère florissantes, cela aurait encore été des frais superflus !
Malgré tout, il finit par émerger un beau matin ensoleillé, l’œil encore noyé d’alcool, le moral aussi sombre et noir que l’âme d’un politicien en campagne électorale !
Sa tristesse faisait peine à voir ! Même pour sa femme !
C’est vous dire si l’heure était grave ! Il se décida pourtant à sortir pour prendre l’air !
Pensant ainsi que le vent frais et matinal allait lui influer un nouveau dynamisme, et le remettre sur les rails de l’homme honnête et courageux qu’il avait quand même été, malgré tout, pendant de longues années !
Et puis, ce n’était pas un incident malheureux qui allait briser à jamais sa passion pour son poulailler ! D’autres éleveurs avaient dû surmonter ce genre d’épreuves !
Il ne faut jamais désespérer dans l’existence !
Un paysan aguerri aux dures vicissitudes de l’exigeante Nature doit le savoir mieux que quiconque !
Ainsi doper par ces pensées optimistes et revigorantes, notre Eusèbe se dirigea vers l’ancien objet de ses attentions …

Eglantine, devant l’attitude un peu plus positive de son compagnon, commençait à respirer de nouveau. Elle préparait avec entrain et enthousiasme une belle tarte aux pommes, en maniant le rouleau à tarte en bois.
La porte crissa pour laisser passer un Eusèbe proche d’un état somnambulique.
A pas lents et mesurés, comme un zombi frappé part le sort de quelque sorcier vaudou en colère, il décrocha à nouveau sa pétoire antédiluvienne.
Mais cette fois-ci, il remplit un sac d’une quantité phénoménale de cartouches de chevrotine. Eglantine suivit la scène de ses yeux exorbités, grands ouverts,
comme les assiettes « souvenirs », accrochées au mur de la salle à manger.
Un moment, elle pensa arrêter les velléités chasseresses de son Tartarin de mari, avec son rouleau à pâtisserie !

_Ouais ! Mais il est foutu de me truffer de plombs, si j’rate mon coup! c’t’animal !
Car Eglantine était la prudence même !

Elle le laissa sortir, pétrifiée d’inquiétude et d’interrogation, quant à la suite des évènements.
Ils ne tardèrent pas !
La ferme fut secoué d’une pétarade de coups de fusil qui sembla interminable à Eglantine !

_Pourvu qu’y s’fasse pas sauter l’caisson avec la dernière cartouche !
C’est qu’y a les foins encore à rentrer ! bon Dieu de bois
!

Car Eglantine était toujours aussi prévoyante !

Mon Dieu, ce carnage !
Il fallait voir ce champ de bataille sanglant couvert de plumes, de duvet, de cadavres rougis par le sang de nos pauvres poulettes ainsi « martyrisées » par un « Dieu » vengeur et impitoyable !
Oui ! Car, tel Yahvé foudroyant Sodome et Gomorrhe par le feu du Ciel,
Eusèbe massacra d’une nuée de plomb, son cheptel en pleine partouze aviaire !
Les poules, grimpées les unes sur les autres, gloussant d’une manière obscène et ridicule, reproduisaient entre elles, par couple, et très maladroitement le simulacre de la reproduction !

Cette fois-ci, Eglantine renauda ferme devant cet abattage industriel.
Un ou deux, ça passe encore !
Mais dix volailles à plumer, elle y passa toute sa matinée.
Eusèbe, le visage en larmes, entassa les suppliciées dans sa « dedeuche » fougonnette, et rebelote pour la rôtisserie de Momo !
Celui-ci, devant cet arrivage conséquent, eut un moment de doute.

_Deus donc l’Eusèbe j’y voudrais pas que time refourgues di « bistiaux » malades au moins ?
Y sont sains, ti zanimaux ?

_Tout ce qu’il y a de plus sain du côté barbaque, Momo !
Mais du côté cervelle, j’garantis rien !
Mais c’est-y qu’on les bouffe, les cervelles ? Non ? La preuve?
La bourgeoise te les a guillotinés ce matin même !
Car Eglantine était une bonne républicaine !

Une demi-heure plus tard les anciennes poulettes du père Eusèbe prenaient une belle teinte caramel et appétissante à souhait dans la rôtisserie de Momo. La plus dorée et la plus délectable était la carcasse de feue Alonza !
Après tout, c’était peut-être ça les « feux de l’Enfer » !
Il y eut bien quelques râleurs, quelques insatisfaits parmi les clients de Momo, dans la journée !
Notamment, Monsieur Joly le pharmacien !

_Je ne sais pas avec quoi ils nourrissent leurs volailles, à présent, mais à ce régime là, ils vont nous faire crever de saturnisme !
Ding ! Fit le quatrième plomb, en tombant dans son assiette !

Ma terrifiante histoire aurait pu s’arrêter là, mais le sort pitoyable du père Eusèbe mérite une petite rallonge narrative.
Quelques jours plus tard, notre malheureux paysan, encore plongé dans les affres de son deuil récent, accentués par une intempérance en progression vertigineuse, dû se rendre à sa banque pour quelque opération urgente et indispensable.
Lorsqu’il poussa la porte de l’établissement, son cerveau embrumé par les vapeurs d’alcool lui fit interpréter d’une manière totalement incongrue et erronée
les sons qui parvenaient à ses oreilles !
C’est ainsi que de nombreux quidams attendaient patiemment devant plusieurs guichets où officiaient de charmantes et ravissantes employées.
Celles-ci ne pouvaient faire autrement que de s’entretenir avec leur client par un bavardage courtois et sonore.
Mais la cervelle dérangée de notre pauvre paysan transforma ces conversations en caquetages lui vrillant les tympans et l’âme !
Il n’entendait plus des mots mais des
« cot cot codec ! cot cot codec ! »
Son visage se couvrit de sueurs !
Et soudain il bondit en hurlant par-dessus le premier guichet à sa portée !
Il tenta d’étrangler la pauvre malheureuse qui se trouvait derrière !

_Sacrées putassières de poules de merde !
Enfoirées de salopes vicieuses !


En tous les cas, ce sont les seules paroles compréhensibles et audibles que les témoins rapportèrent, dans le commissariat de police, où l’on enferma le fou furieux !

Maintenant Eglantine rend visite à son époux très régulièrement, dans sa nouvelle résidence ; l’asile d’aliénés du département !
Propre et très bien tenu !
Elle peut l’observer dans sa chambre entièrement capitonnée, par un petit hublot vitré pratiqué dans la porte.
Il est là, bien vivant, bien remuant, debout, dans sa belle camisole de force toute blanche !
Comme il a percé son traversin avec ses dents, il crache quelques petits duvets, et pousse de très joyeux, très sonores mais très approximatifs
« Cocorico » !
Toutes les amies de cette pauvre Eglantine la soutiennent dans cette dure épreuve.
Et pour toutes celles qui l’interrogent pour savoir ce qui est arrivé à son mari
elle a cette réponse immuable :

_Ben c’est qu’il a attrapé le « délire homme très mince » !
Car Eglantine a de la culture médicale !

Au fait ? Vous reprendrez bien une cuisse de poulet ?

« Mister Ed » Mon bon samaritain (2)

J’entrais donc, dans ce « monument » aseptisé, cossu, confortable et agréable ! La maîtresse de maison me fit, bien sûr, les « honneurs de la maison », comme on dit dans les romans à deux euros !
Si les maisons américaines sont en bois, aussi fragiles que des boites d’allumettes, par contre, elles sont grandes !
C’est ce que je constatais tout de suite ! Même les plus modestes !
Mais le morceau de « choix », c’était la cuisine !
Véritable « salle d’opération » où tout brillait à vous en faire mal aux yeux !
On n’aurait même pas eu le courage d’ouvrir une boite de sardines, tant on aurait eu peur de salir ce bijou de propreté !

C’est ici, que je retrouvais Cindy ! (Maintenant que je connais le sketch de cet « ignoble » Dany Boon, je ne peux pas écrire le prénom de cette pauvre enfant sans être ridiculement gêné !) L’opération qu’elle était en train d’entreprendre, cadrait parfaitement bien avec le décor de laboratoire qui m’environnait. Figurez-vous qu’elle venait de se servir un verre de lait. Opération banale, me direz-vous ? Attendez la suite !
Elle sortit alors, d’une étagère, un petit présentoir en bois, dans lequel se trouvaient alignés, de minuscules « tubes à essai » remplis chacun d’un liquide d’une couleur différente.
Mais quelles couleurs ! Hou ! Cela allait du bleu turquoise, au rose pâle, en passant par un jaune canari ! Après plusieurs secondes de réflexion, elle opta enfin pour un bleu tendre. Elle le versa dans son verre de lait qui prit ainsi cette belle couleur !
Tout à fait naturel pour du lait !
Car je devais apprendre une grande règle de l’art culinaire amerloque ; c’est que le goût des choses, ils s’en tapent !
Mais ce qu’il faut surtout ; c’est que ce soit « beau » !
Nos « ignobles » tripes à la mode de Caen, nos boudins noirs « monstrueux » leur font peur !
Mais une belle gelée transparente bleu cobalt, ça, cela les ravit !
Le choc des cultures, qu’on vous dit !
La journée se déroula sans problème majeur, à part le passage impromptu d’un agent du FBI ! Ouais ! Car ma charmante cousine avait signalé la disparition d’un dangereux « terroriste » aux autorités compétentes !
Et celui-ci était activement recherché avant qu’il ne puisse commettre ces « ignobles » forfaits ! Mais le fonctionnaire ne devait pas être très « zélé » car il n’a même pas cherché à me voir, ni moi, ni mon passeport ! Il s’est contenté d’une conversation avec ma généreuse hôtesse.
Pas besoin de vous faire un dessin ! Les mœurs policières ont rudement changé depuis !
« Dont worry ! My dear Djirâârde! It’s only the FBI »
Oui! C’est vrai ça! Pas de panique ! C’était juste le FBI !

A la nuit tombée, je fis enfin la connaissance du mystérieux « Mister Ed »!
Car toute la journée, ma porteuse de choucroute blonde n’arrêtait pas de mentionner ce curieux personnage !
Elle m’aurait parlé de son « husband », et malgré mes six longues années d’anglais scolaire totalement inutiles, j’aurais fini par comprendre !
Mais un certain « Mister Ed » ?
C’est alors qu’il apparut dans l’encadrement de la porte !
Il me fixa de sa bouille ronde et de ses grands yeux « bleu profond », et avec un sourire charmant et joyeux, en me pointant le ventre de son indexe, me sortit cette phrase rituelle que je devais entendre tous les jours :
« One day more, one dollar more » !
Comme première prise de contact, c’était plutôt saugrenu ! Surtout qu’il passa à côté de moi, indifférent pour aller s’asseoir dans le canapé du salon. Là, il se servit aussitôt un verre de whisky, et se planta devant la tété.
Miss « choucroute » le rejoignit pour tenter de lui expliquer ma présence sous son toit !
Pendant la conversation, Mister Ed me tendait son verre en signe de salut, puis continuait de regarder sa télé en écoutant distraitement sa femme !
Il me faisait l’impression d’un homme habitué à ce que son épouse lui rapporte souvent des chiens errants, des chats égarés, des ratons laveurs en goguette, des clochards occasionnels, des épouses en rupture de ménage, enfin bref, toute une faune que son grand cœur se devait de secourir, et parce que son devoir de « Jéovâ ouitessesise » lui recommandait impérativement de faire !
Ah oui ! Parce que j’allais apprendre ce petit détail sans importance ; Misses Gluth faisait partie de l’Eglise des « témoins de Gévéor » du quartier !
Mais heureusement pour moi, son prosélytisme fut toujours très léger et discret !
J’eux quand même droit, à me farcir toutes les cérémonies religieuses, le dimanche matin, au temple, pendant tout mon séjour, alors que ce « mécréant » de Mister Ed faisait sa partie de golf avec ses copains. Vous constaterez, par la même occasion, ce schéma universel qui veut que les femmes soient infiniment plus bigotes que ces « incrédules » indécrottables de maris ! Schéma que l’on a retrouvé pendant des siècles en Europe occidentale, où pendant que ces dames assistaient à la messe, ces messieurs étaient à la taverne, puis au bistrot !
Même les « Témoins de Gévéor » amerloques n’y coupent pas !
C’était quand même le moins que je pouvais faire pour honorer et respecter ma généreuse hôtesse !
Le tableau ne serait pas complet, si je ne vous parlais pas d’un petit tas de poil qui se voulait être un chien et que mon hôtesse me présenta comme se prénommant :
« moûnéééé » !
« Mouné » ? Ça sort d’où ?
Voyant mon regard plus qu’interrogatif, elle vint à mon secours par une explication encore plus absconse : « It’s a french painter ! You know ? »
Le temps que je « décode », ce qui me prit au moins un bon quart d’heure, je compris qu’il s’agissait de « Monet » !
Quel honneur pour notre grand peintre !
Car Miss « Choucroute » adorait son « moûnéééé » !
Quant à sa race précise, je serais totalement incapable de vous la préciser ! Je dirais seulement qu’il avait quatre pattes, un poil noir et blanc, et sûrement des yeux planqués dedans !

A suivre !