Les immeubles tous neufs et pimpants de
la Butte Rouge, à Châtenay-Malabry dissimulent un pan mal connu de
l'histoire dramatique de cet endroit. En dehors du fait que cette
« Butte-Rouge » aurait été nommée ainsi (légende ou
pas) à cause des « communards » que les « versaillais »
auraient fusillés en masse, il y a aussi la proximité de la base de
Villacoublay qui lui a valu la pluie infernale d'un certain nombre de
bombes durant la seconde guerre mondiale. Quand nous jouions dans le
bois de Verrières tout proche, on ne manquait pas de visiter ces
cratères gigantesques qui commençaient à être envahis par la
végétation. Nous connaissons tous, la «légendaire »
précision des bombardements américains pour ne pas insister
là-dessus. Bref! Un jour d'aventure enfantine, je me promène avec
mon petit copain du moment, un certain, Patrick. Notre vagabondage
nous amène sur un carrefour, à la lisière du bois. Vous le verriez
aujourd'hui, il vous serait impossible à retrouver, tellement
l'urbanisme a évolué. Donc, ce n'est pas la peine de vous le
décrire! Malgré tout, il reste encore un petit restaurant qui fut
le quartier général de belles « hétaïres » qui
sévissaient dans les buissons de la forêt. Avouez que « hétaïres »
cela fait plus « classe » que putes! Ah mince! Ça m'a
échappé!
Comme nous étions assis au pied d'un
grand chêne, j'aperçois le museau d'un engin bizarre. Je me lève,
je m'approche!
_Oh putain!........ Car on avait déjà
du vocabulaire, à l'époque, et que le lieu s'y prêtait assez bien!
Un OBUS! Et un bel obus! Tout rouillé
et plein de terre, mais aucun doute sur sa nature. Son museau
sournois dépasse de la terre et la pointe détonante est
parfaitement visible!
Paralysés par la surprise et la
fascination, nous restons immobiles à le fixer un bon moment. Puis
mon copain prend rapidement une initiative courageuse et ferme:
_Toi, tu vas le garder! Tu vas faire
attention à ce que personne ne le touche, et pendant ce temps-là,
je vais chercher le service de déminage.
Mon petit copain, aux décisions
énergiques du scout qu'il est, me laisse en plan avec cet engin
mortel à ma garde.
Avec toute la somme de courage qui me
caractérise, je reste planqué derrière le tronc d'arbre protecteur
de mon grand chêne. Toutes les trente secondes, je jette un regard à
la dérobée pour voir si le morceau de ferraille de malheur, est
toujours bien là! Comme tous les individus à l'imagination fertile,
je le vois exploser, m'arrachant les jambes, et moi, dans un fauteuil
roulant pour le reste de mes jours. Pour parfaire le tableau, je vois
le cortège de mes funérailles suivi par tous les copains du
quartier et de ma classe. J'ai toujours été un très grand
« optimiste »!
-Mais qu'est-ce qu'il fout? Il ne
m'aurait pas abandonné lâchement, quand même? Bon! Ce qui me
rassure, c'est que c'est pas genre de Patrick! Un « scout »
ne trahit jamais!
Au bout d'une centaine de réflexions
de ce genre, je vois arrivé un petit camion avec une plateforme sans
bâche. Il s'arrête devant moi. Mon pote surgit de la cabine, ainsi
qu'un homme sans âge, le béret gris vissé sur le crâne et un
mégot improbable aux lèvres!
_Il est où, ton obus mon p'tit gars?
-Là, m'sieur!
Et c'est ainsi que je vois mon démineur,
arracher « notre » obus de sa gangue de terre, sans plus
de formalité, et d'un geste raffiné du semeur de la Beauce, balancer notre engin dans la benne où son atterrissage fait un bruit sourd
de protestation.
Notre « artiste » du
déminage remonte dans sa cabine en sifflotant et nous laisse en
plan, sans même un signe d'adieu!
Deux «idiots » frappés par la
stupeur et l'incompréhension, c'est nous!
_C'est ça ton engin dangereux? Et tu
m'as fait poireauter pendant une heure pour rien?
_Mais je ne suis pas artificier!
Comment pouvais-je le savoir?
Heureusement, les disputes de gamins ne
sont jamais bien longues! Tout ceci c'est terminé par une partie
d'osselets acharnée.
Pourtant, je crois que, malgré notre
jeune âge, nous avons fait exactement ce que nous devions faire, et
des centaines d'individus sont morts pour avoir ignorer cette
attitude de bon sens et de prudence.
Dans mes recherches, je suis tombé sur
ce site intéressant concernant le déminage et les quelques milliers
de bombes et d'obus qui traînent encore un peu partout en France: