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samedi 27 juillet 2019

LA MORT D’UN CHEVALIER DE L’INUTILE

Un de ses valeureux et talentueux représentant vient de mourir à l’âge respectable de 81 ans.
Il s’agit du journaliste d’investigation Pierre Péan. Je les nomme ainsi parce qu’une grande vérité m’a sauté à la figure lorsque j’ai écouté l’habituelle et convenue nécrologie, et souvent obséquieuse que lui faisait un de ses confrères journalistes, qui le détestait sûrement secrètement de son vivant.  Cette grande vérité, c’est toute l’inutilité abyssale de toutes ces enquêtes journalistiques transcrites dans de beaux bouquins, que la poussière recouvrira bientôt, dans l’étagère de la bibliothèque où ils sont rangés.  Comme beaucoup de mes concitoyens, tout au long de ma vie, j’ai collectionné tous ces cris de colères livresques et journalistiques. Je suis sûr que vous en avez encore une bonne dizaine chez vous, qui sont prêts  à partir à la poubelle, ou sur un étal du vide-grenier dominical.
Ils ont tous une particularité indéniable ; ils n’ont jamais, mais alors là ? Jamais provoqué un scandale, fait destituer un ministre, encore moins un président de la république ! Pourtant, ce n’est pas faute, pour certains d’entre eux, d’avoir  dénoncer des horreurs absolues, des crimes de guerre, des assassinats politiques, des arnaques, des trahisons, etc. Et le pire, le plus incroyable, c’est q’ils le firent avec toute l’honnêteté professionnelle du monde, avec force preuves à l’appui, avec un grand professionnalisme, donc à l’abri de toute attaque en diffamation ! J’ai encore à la mémoire un pauvre inconscient voulant dénoncer un « watergate à la française » ! Rien que ça ! La force de son argumentaire était colossale, mais fut inversement proportionnel à l’indifférence qu’il rencontra dans le public ! Un autre journaliste d’investigation dont j’ai même acheté quatre de ses œuvres (dont une dédicacée, s’il vous plaît!) fustigeait les « quarante voleurs » d’une caverne d’Ali Baba du côté du pouvoir. Je vous rassure ; les quarante voleurs se portent toujours à merveille ! Mieux ! Aujourd’hui, ils sont encore plus nombreux et plus prospères que jamais ! 
Pauvres journalistes d’investigation ! Vous pouvez dénoncer des magouilles par milliards, des trafics d’armes, de drogue, des réseaux de prostitution, d’esclaves, et même d’organes humains, vous n’obtiendrez jamais l’efficacité d’un petit article du « Canard enchainé » ou de « Médiapart » !
Car il faut se rendre à l’évidence ; le peuple, le bon peuple, se fout de tous ces scandales ! Il faut lui pardonner, tout ceci n’est pas son monde ! Il est déjà tellement plus préoccupé, lui, par ses propres petites magouilles, bien terre-à-terre, bien concrètes, par ses propres petits scandales dans sa sphère familiale, professionnelle, et amicale, que les turpitudes des « grands » ne l’intéresse pas du tout. On ne navigue pas dans la même pataugeoire ! Cela me rappelle aussi ce sketch de Coluche ;
« Je me fous de tout » où il disait  « je suis con ! Mais putain, que j’aime ça ! » Ce grand philosophe (à l’insu de son plein gré) qu’était Coluche, illustre merveilleusement bien le pourquoi de l’échec total de cette littérature d’investigation. Depuis l’aube de l’humanité, l’homme vit dans un monde de rêves qu’il se fabrique continuellement. Malheur à celles ou à ceux qui tentent de le réveiller de temps en temps. Ils seront souvent haïs ou méprisés.
Mais il n’y a rien à faire, il y aura toujours des individus qui auront envie de sortir de la caverne dans la fameuse allégorie de Platon, pour aller voir le soleil de plus près.
Pierre Péan était de ceux-là  et le meilleur hommage qu’on puisse lui rendre est de le laisser parler sur son métier et sa vocation :

 Dans une interview donnée au Figaro en 2014, il expliquait :

« Ce qui m’anime, c’est la curiosité, l’envie d’aller voir ce qui se passe derrière le mur, de plonger dans les coulisses. Essayer de comprendre. (…) J’aime traquer les vérités qu’on me cache, mais je n’ai pas envie de tuer, j’ai envie de comprendre. Je ne cherche pas à traîner les gens sur les bancs de la justice, à les faire condamner. Je ne me vois pas comme le bras armé de la justice. Ce n’est pas ma vocation. »
https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2019/07/26/mort-de-l-ecrivain-et-journaliste-d-investigation-pierre-pean_5493540_3382.html