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lundi 20 mai 2013

La Pérouse : une tragédie française

S'il n'existe plus, pour moi, qu'une seule image du héros absolu, c'est bien celle de Jean François de Galaup comte de La Pérouse. Cet homme a eu un destin si riche, si fabuleux, si extraordinaire, sans que ce terme soit galvaudé, que je m'étonne, et même que je m'indigne du fait que son nom ne soit pas mieux connu de la plus part de mes compatriotes. Il mériterait pleinement qu'on lui consacrât nombre de statues et de noms de rue. Il le mérite mille fois. Jamais je n'ai lu plus de qualités humaines incarnées en un seul homme. C'était pourtant un noble du 18° siècle. Il était donc comte, d'une petite noblesse de province. Il était né à Albi, en 1741. C'était un « ci-devant » comme les nommèrent avec mépris nos proches révolutionnaires. Comble de la malchance historique, c'est un roi qui subira lui-même un destin tragique, Louis XVI qui le remarqua dans la solitude de la lecture de plusieurs centaines de dossiers d'officiers de marine, qui l'imposa tout seul, de son choix libre, à un ministère rempli de courtisans aux dents longues. Il l'avait choisi parmi plusieurs centaines de dossiers de capitaines anonymes, lui, le modeste officier de marine. Et pourquoi l'avait-il choisi ? Parce que, lors d'une mission impossible, dans le grand nord canadien, il avait montré d'extraordinaires capacités de commandement, et surtout de grandes qualités humaines. Rien que cette expédition aurait suffit à la gloire posthume de ce marin d'exception, tellement elle fut épique et aventureuse. Mais ce n'était que le début. Déjà, vous constaterez une lucidité et un bon sens peu commun, chez un monarque si injustement méprisé par la postérité historique. Postérité historique fabriquée par des historiens, plus enclins à servir l'idéologie du moment, que la vérité. D'ailleurs, il est un autre scandale, que je dénonce ici, par la même occasion; c'est que dans ma culture historique de citoyen français de base, ce sont souvent des auteurs et historiens étrangers qui m'ont révélé la vraie grandeur cachée de nos plus illustres personnages historiques. Ce fut vrai, par exemple, pour Louis XI. C'est un grand historien « américain » Paul Murray Kendal, qui me fit aimer et respecter ce grand roi tant calomnié, et certainement pas l'armée d instits laïcs qui firent mon instruction scolaire. C'est normal. Nous sommes tellement impliqués affectivement, idéologiquement dans notre propre histoire, que nous n'avons plus le recul nécessaire pour juger correctement le destin singulier de nos illustres compatriotes. Un regard étranger est toujours salutaire et bienfaisant. Celui qui examina avec générosité et passion La Pérouse s'appelle Hans-Otto Meissner. Il était Allemand ! Voilà donc un témoignage, on ne peut plus impartial et honnête.
Quand je pense à ce destin fabuleux je ne peux qu'être fasciné par la tragédie grandiose qui le sous-rend où se mêle l'époque la plus mouvementée, cruciale, définitive, de notre histoire, la révolution française,  et cette épopée maritime qui va se terminer par le drame et le mystère pendant des décennies. Il faut comprendre que lorsque La Pérouse entreprend son grand voyage, c'est un projet scientifique grandiose comme aucun pays au monde ne l'avait mis sur pied avant nous ! C'était l'équivalent du projet « Apollo » des Américains, comme le soulignera Meissner ! Et ce n'est pas exagéré au vue de l'armée de savants et de matériels scientifique embarqués ! Il doit apporter à la France des connaissances scientifiques et humaines considérables ! Et c'est ce qu'il fera ! Il va parcourir le monde, et principalement l'océan indien et l'océan pacifique. Il va à la rencontre de peuplades inconnues qu'il aborde pacifiquement, avec amitié, et respect, lui le lecteur de Rousseau et de son « bon sauvage », avec parfois une naïveté qui faillit lui coûter très cher ! Et
puis c'est le drame mystérieux !La disparition inexplicable au pire moment de l'histoire de notre pays. Et l'on
mettra des années à retrouver l'endroit exacte du naufrage des deux bateaux de l'expédition, l'Astrolabe et la Boussole, sur les récifs d'une petite île nommée Vanikoro, une île du sud de l'archipel des îles Santa Cruz, la partie la plus orientale des îles Salomon, dans l'océan Pacifique. Savez-vous que la dernière pensée de Louis XVI, avant son exécution, sera de savoir si on avait « des nouvelles de La Pérouse » ? Je vous laisse juge de la grandeur d'âme de ce monarque que l'on allait exécuter et tant calomnier par la suite ! Et il fallait que ce fût un Allemand qui nous le signalât !
Mais cette épopée fourmille de tant d'anecdotes, de tant d'événements fabuleux, qu'il me serait fastidieux, imprudents, et surtout impossible à raconter de nouveau. Surtout si un auteur beaucoup plus talentueux que moi l'a déjà fait ! Mais quelle grande production cinématographique ne pourrait-on pas faire de cette épopée fantastique et surtout, authentique !
Pourtant, dans ces milliers d'anecdotes qui se pressent autour de cette histoire, il en est une qui m'a semblé plus extraordinaire encore que les autres. Figurez-vous que lors de son dernier périple La Perouse débarque au Kamtchatka, dans le port de Petropavlovsk. Là, le grand capitaine donne une mission à un jeune officier de l'expédition. Il s'appelle Jean-Baptiste de Lesseps.Il était le secrétaire personnel du grand amiral. Oui !
C'est bien le père du futur bâtisseur du canal de Suez et de Panama, Ferdinand. Mais Jean-Baptiste, lui, accomplira un exploit peut-être encore plus extraordinaire, mais resté inconnu, hélas. Il va devoir rapporter à Paris tous les rapports et résultats scientifiques déjà collationnés par les savants de l'expédition. Il va avoir à traverser toute la Sibérie, l'Asie centrale, la Russie, l'Europe pour remplir sa mission. Et le transsibérien n'était pas encore construit ! Les adieux déchirants entre des gens qui ne devaient plus se revoir vivants, eurent lieux, le 8 septembre 1787 !
Près de quarante ans plus tard, après de nombreuses péripéties, un aventurier du nom de Peter Dillon rapporte à la cour du Roi de France, en octobre 1827, quelques reliques trouvées sur l'île de Vanikoro et ailleurs. Et quelle n'est pas la stupeur d'un vieil homme, revenu de Moscou où il a été ambassadeur, de retrouver, parmi ces objets la poignée son sabre qu'il avait laissé, là-bas, à Petropavlovsk, dans sa cabine, à bord de l'Astrolabe ! Il y a des choses ; comme celles-là, qui ne peuvent s'inventer.
Mais cette épopée est tellement riche, tellement foisonnante de mystères, d'aventures, de destins brisés, qu'il est impossible de la cerner complètement ; Et le miracle fait qu'elle vit encore généreusement par les travaux d'archéologie sous-marine qui ont été entrepris ces dernières années.
Nous sommes entrés dans une époque difficile, où l'on doute de nous, où l'on tente de nous faire disparaître nos repères les plus fondamentaux, nous faire croire que nous n'avons pas eu un grand destin, de grandes ambitions, mais quand je me mets à penser et à rêver à l'expédition de La Pérouse, et que je sais que mon pays, mon peuple a été capable d'engendrer un tel homme, un tel pur héros pour l'humanité toute entière, je me sens revivre et reprendre espoir en l'avenir. 

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