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lundi 28 avril 2008

Les timides à la caserne


Dans mon automobile moderne et silencieuse, une bécasse à la voix suave débite une annonce publicitaire pour une représentation théâtrale, comme une phtisique sur le point de mourir.
Je sais bien qu’il faut savoir ménager les nerfs du « tomobiliste »,
mais quand même !
Vous avez sûrement reconnu cette chaîne de radio, dont la regrettée Sophie Daumier en avait fait un sketch savoureux !
Et là ! Oh stupeur, j’entends le titre de la pièce qui me plonge plusieurs décennies en arrière, au temps « glorieux » de mon passage sur la base aérienne d’Orange.
Il s’agit du « Timide au palais » !
C’est une pièce de Tirso de Molina, auteur espagnol célèbre du 16ième siècle.
Déjà, je sens que vous vous en foutez royalement, et que vous ne saisissez pas très bien le rapport qu’il peut y avoir entre une base aérienne, et une pièce de théâtre d’un vieux « kroum » dont les 9/10 d’entres-vous n’ont même jamais entendu parler!
Alors, je vous explique.
Sur cette magnifique base de l’armée, en ce beau mois de mai 1968, qui s’annonçait chaud pour de multiples raisons, les distractions étaient fort rares, pour les « punis » et les pauvres malheureux qui n’avaient pas de « perm » de « ouikande ».
Heureusement pour moi, j’avais fait la connaissance d’un camarade vachement sympa, gentil, réservé, qui partageait mes goûts, mes passions, et surtout savait écouter mes longs bavardages.
Nous étions tellement amis, que nous en étions devenus totalement
inséparables.
« Montaigne et La Boétie », « Castor et Pollux », « Voltaire et Frédéric II », « Roux et Combaluzier », mais quand même pas « Bouvard et Pécuchet » !
Sinon, je me fâche !
Donc, pour toutes « distraction » nous avions le « cinoche » sous un hangar en tôles ondulées, aussi confortable qu’un sauna finlandais, sans la possibilité de se foutre à poil, et une minuscule salle de télévision, dans le « foyer du soldat » !
Les films, dans cette salle « art et d’essais » pour bidasses désoeuvrés,passant tous les dimanches valaient largement ceux que Monsieur le Curé de Saint-Locdu-sur-Charentaise donnait les jeudis après-midi, à sa troupe de louveteaux et de scouts !
Il n’y avait pas de quoi émoustiller la libido d’une bande de gamins de vingt ans ! C’est moi qui vous le dit !
Or, il advint cette chose extraordinaire, qu’un jour le programmateur de la base, dans un moment de pure « folie », décida de nous faire visionner :
« Angélique, Marquise des Anges ! »
La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre !
Comme on écrit dans les romans de « Monsieur Arlequin » !
Car, à notre belle époque pré-soixantehuitarde, la série des « Angélique » passait pour des œuvres quasiment licencieuses !
Et la plastique de Michèle Mercier provoquait des sécrétions nocturnes chez tous les bidasses en manque de tendresse et de sensualité !
Bref ! Ce fût presque l’émeute devant le cinoche !
Deux mille excités se pressèrent devant les portes de l’étuve cinématographique.
De mémoire de projectionniste de la base, on n’avait jamais vu ça !
C’est tout juste, s’il ne fallut pas faire appel à la police militaire pour rétablir la discipline.
Et pendant ce temps-là ? Hum ?
Devinez un peu ? Si ! Si !
Je crois que vous avez compris !
Deux « timides » bien peinards, en regardait un troisième, à la télévision, sous les traits de Dominique Paturel, se débattre dans les affres de l’amour.
Ah ! On n’a pas été dérangé !
Et nous avons passé une excellente soirée !
Le seul et très léger inconvénient, c’est que nous sommes passés pour des « pédés » par nos copains de chambrée, totalement hermétique à notre goût pour le théâtre espagnol du 16ième siècle.
Ah les préjugés, je vous jure !
Après bien des années, et bien de mûres réflexions, en pensant à mon charmant camarade, dont j’ai même oublié jusqu ‘au nom et au prénom, je me demande sincèrement si……. !
Bof ! Et puis quelle importance, hein ?