Des avions « mythiques »,
il en existe des dizaines. C’est à la discrétion de ceux qui les
considèrent comme tels, en fonction de leurs souvenirs et de leur
goût. Le mien, c’est le « Stampe » Il m’est cher à
plus d’un titre ce vieux coucou. Certains penseront que c’est une
antiquité dormant sous la poussière d’un musée. Erreur ! Il
vole toujours. Il est indestructible, il est éternel. Il est
pourtant fait de toile et de bois. C’est un biplan conçu avant la
seconde guerre mondiale, et par des Belges, de surcroît. Ce qui
prouve que les Belges, à part la bière, les bandes dessinées et
les blagues sont aussi capables de faire des avions. Et quel avion !
Il a formé des centaines de pilotes de
toutes nationalités. Il a été l’avion des premiers émois
aéronautiques pour bien des aviateurs professionnels qui en
garderont un souvenir ému, même si au bord de la retraite, ils
pilotent des 747 ou des A380. Car nous savons tous que les
« premières fois » sont inoubliables ! Et pas
seulement en aviation, si vous voyez ce que je veux dire. Bon !
Après cette petite mise en bouche, il serait temps que je vous parle
de moi et de mon aventure « sentimentale » avec cet
avion.
Je devais donc avoir douze ou treize
ans. Mon père travaillait alors sur cette base aérienne Ô combien
« mythique » elle aussi, de Vélizy-Villacoublay. Pour un
raison simple c’est qu’il y était adjudant chef comptable dans
l’armée de l’Air, et ce que nos contemporains, de moins de
quarante ans, ne peuvent pas savoir, c’est que lorsqu’ils vont du
petit Clamart sur Versailles, en roulant sur la « 186 »,
sur leur droite, ils observent une multitude de bâtiments divers
d’une densité remarquable. Ils auraient beaucoup de mal à
imaginer qu’à cet endroit, dans les années soixante, une
splendide prairie verte s’étendait là, à perte de vue. Et que
sur cet espace bucolique se trouvait un autre terrain d’aviation,
mais privé, celui-là !
Mon père s’était lié d’amitié
avec un vieux « forban » d’une cinquantaine d’année,
à la chevelure blonde et ondoyante à la Mermoz et qui travaillait
sur la base. Ce brave type avait la particularité d’être un
pilote amateur. Et il pilotait, bien sûr, sur le petit terrain
privé, le dimanche. Mon père ne tarissait pas d’éloge à son
sujet. Une vraie passion. Allant même jusqu’à me raconter que son
« héros » fit toute la guerre comme mitrailleur de queue
sur B17, les fameux bombardiers américains. Je ne sais pas si cette
histoire était vraie, mais elle m’impressionna fortement. Comme
mon père connaissait ma passion pour l’aviation il eut l’idée
géniale (pour moi) de me proposer un baptême de l’air dont son
pote serait le pilote ! Vous pensez bien que cette idée me fit
sauter de joie du haut de mes treize ans.
C’était plutôt un « faux »
baptême, car à l’âge très modeste de deux ans et demi, j’avais
déjà parcouru 12000 kilomètres dans la carlingue d’un
« Halifax » vieux quadrimoteur bombardier que les Anglais
(dans leur « immense » générosité) nous avaient refilé
après la guerre pour palier à notre aviation civile exsangue. Nous
revenions alors de Madagascar où je suis né. Mais comme je n’avais
strictement aucun souvenir de ce premier voyage, ce vol représentait
pour moi quand même le premier « conscient » et « vécu »
Dire que j’étais rassuré et détendu serait un tantinet exagéré.
J’avais quand même un peu les jetons. Je dois l’avouer
humblement. C’est ainsi que j’arrivais, un beau matin froid et
légèrement brumeux, sur ce petit terrain, en face du « grand »
plein d'avions militaires, dans la 403 noire paternelle. Je vis
alors un grand gaillard, costaud, au visage rigolard et malicieux, me
tendre une paluche de déménageur. Il était d’un calme rassurant
et posé. Très vite nous nous sommes dirigés vers « l’oiseau »
de toile grise qui nous attendait sur le tarmac. Le « Stampe »
est un biplace. Ce qu'il a de particulier c'est que le passager ou
l'élève est à la place avant, et que le moniteur est derrière
lui. Vu la petite taille de mon âge, on m'avait affublé,en guise de
coussin d'un parachute qui ne m'aurait servi à rien en cas
d'incident, mais qui me permettait de voir à l'extérieur comme les
grands. Une fois coincé dans mon modeste habitat, je surveillais les
préparatifs avec attention et angoisse. Quand le moteur se mit à
pétarader et à ronfler, je fus stupéfait et un peu suffoqué par
l'intensité du bruit auquel je dus, de force, m'habituer. Malgré le
petit pare-brise de plexiglas installé devant moi, je ne pus me
protéger d'une circulation d'air qui me donna l'impression d'avoir
la tête à la portière d'une voiture roulant à cent à l'heure!
Et comme mes deux inconséquents
d'adultes qui m'avaient organisé ce voyage n'avaient pas prévu de
me donner un casque ou même un protège oreilles, je me suis farci
une otite carabinée au retour qui abaissa mon acuité auditive de
l'oreille gauche pendant des années.
Pour l'instant, l'avion fait des
soubresauts incontrôlés sur une piste en herbes folles. La tonte du
gazon n'ayant pas dû être faite depuis longtemps. Le bruit du
moteur s'est encore accru en intensité, ce que je n'avais cru guère
possible! Après une course de plus en plus chaotique j'ai senti que
l'on se soulevait un peu, et puis brusquement tout s'est stabilisé.
Nous étions en l'air!
Ah! La joie de voir la terre
s'éloigner, les maisons se faire toutes petites. Nous avons survoler
Meudon, ensuite, mon grand escogriffe de pilote a plongé sur Paris.
Pas exactement! Mais comme je ne pouvais pas distinguer les limites
de la capitale, je ne savais pas encore que son survol est
formellement interdit à tout aéronef privé. En fin de compte, nous
avons remonté la Seine au dessus de Suresnes et de Nanterre. Et là,
j'ai encore le souvenir indélébile d'avoir pu admirer le CNIT,
cette grosse étoile de béton, toute neuve, et non encore enchâssée
de ses buildings d'affaire. Nous sommes revenus nous poser
tranquillement. Bon, pendant trois jours j'ai hurlé comme un perdu,
persuadé que l'entourage ne m'entendait pas! Mais quel souvenir.
Un autre souvenir, mais dramatique
celui-là, et dont peu de gens ont le souvenir; c'est celui d'une
collision dramatique d'un « Stampe » et d'un « SE
210 caravelle » en approche d'Orly.
Ce pauvre avion fut littéralement
« scalpé » par le « Stampe » dont le moteur
se retrouva sur les genoux d'un passager qui n'y survécut pas!
L'appareil réussit néanmoins à se poser avec huit mètres de toit
de carlingue en moins! Cela se passait le 19 mai 1960 et la compagnie était "Air Algérie".
Mais je préfère me souvenir de mon
« baptême », et lorsque je vis dans une brocante, la
boite d'une maquette représentant mon glorieux biplan je ne pus
résister. Maintenant, il trône dans une vitrine, accompagné de
vénérables compagnons comme un « Caudron Simoun » un
B17, un « Halifax » et des dizaines d'autres, le
Concorde, deux A380, un 747, une « Alouette II », un
« Puma 330 » le « Spirit off Saint-Louis »,
un hydravion japonais, un « Jap zéro » etc....