Il en est enfin sorti à plus de quatre
vingt dix ans, moi qui le croyais mort depuis longtemps. C'est qu'il
a habité un autre corps, il y a de cela plus de quarante ans. Et
l'histoire que je vais vous raconter est tout à fait authentique.
J'avais juste vingt ans et je faisais mon service militaire. Chose
incongrue que mes enfants ne connaîtront jamais. Je venais d'être
rapatrié de ma base de Bou-Sfer en Algérie, car le site de
Mers-el-Kébir venait d'être rendu aux algériens par le général
De Gaulle à la grande fureur de l'OTAN. J'atterrissais donc (ce qui
est normal pour un militaire de l'armée de l'Air) sur la base
d'Orange Caritat, dans le sud de la France, près d'Avignon. Belle
base aérienne avec ses Mirage IIIC et ses Mirage IV porteurs de la
bombe atomique française. J'eus l'immense bonheur, moi passionné
d'aviation, d'être affecté dans la tour de contrôle avec ses
immenses baies vitrées qui dominaient tout le paysage et notamment
le mont Ventoux, si cher aux cyclistes du tour de France qui
ressemble à si méprendre au « Fuji-Yama » que les
japonnais vénèrent comme un dieu. Mais l'armée ne m'avait pas mis
là pour admirer le paysage. J'avais pour mission de noter à la
minute près, toutes les heures d'atterrissage et de décollage des
appareils qui défilaient devant moi, ainsi que leur immatriculation,
bien évidemment. J'avais aussi, une autre tâche tout aussi
importante qui consistait à recevoir par téléphone les prévisions
météorologiques de la région. Prévisions que je communiquais
immédiatement au contrôleur aérien de service. Le premier jour de
ma prise de fonction, au premier coup de fil du météorologue de
service, je manque de lâcher mon combiné tellement ma stupeur est
grande ! J'entends la voix parfaite, authentique, sans l'ombre
d'un doute, inimitable d'Albert Simon. Pour les moins de quarante ans
qui ne comprendraient pas mon étonnement et que tout ceci passerait
au-dessus du « carafon » comme on dit vulgairement, c'est
un peu comme si Laurent Cabrol leur téléphonait, sur leur « smart
phone » pour leur donner les prévisions météo. A mon époque,
ce cher « Albert » était connu des millions de Français
par son accent chevrotant et inimitable. Ben ? la preuve que
non !
« ça y est ! » Me
dis-je en mon for intérieur qui n'était pas très fort à cette
époque !
« J'ai droit au bizutage de
service » ! Tous mes anciens compagnons de servitude
militaire me comprendront ! C'est fou le nombre de « clés
du champ de tir » qui ne furent jamais retrouvées ! Nous
avions la version aérienne : « la clé de la porte
GCA » ! Celle-là aussi en a fait courir des troufions et
créer des angoisses terrifiantes chez les malheureuses
victimes! Bref je balance un sonore et définitif : « va
de faire foutre avec ta blague à deux balles ! » Ah
mais ! Silence de mon « tortionnaire » même pas
rigolard ! Je m'étonne. Une heure se passe. Je décroche à
nouveau, et « Albert » imperturbable, me sort son
nouveau bulletin météo, toujours avec la même voix. Mais son ton
est si calme, presque navré et triste que je n'ose répliquer..
Toutes les heures, pendant toute ma vacation, va se reproduire le
même scénario. Celle-ci terminée, un tantinet furibard et surtout
intrigué, je fonce au bureau du CLA, sur la base, à deux kilomètres
de là, autrement dit le « contrôle local d'aérodrome »
où officient les gens qui préparent les plans de vol et les
météorologues !
Là, je demande à voir le gars qui m'a
balancé tous ces bulletins en se foutant de ma poire !
Ô stupeur ! Ô honte sur moi !
Je vois sortir d'une pièce, un jeune type, à la bouille
sympathique, ronde et basanée, les cheveux crépus, c'est un jeune
qui vient de son minuscule archipel du pacifique, Wallis et Futuna !
Quand il me demande, sur un ton poli et calme ce que je lui veux, je
comprends avec horreur que c'est bien sa vraie voix ! Oh
misère ! Rouge de confusion, je bafouille un prétexte idiot.
Et c'est ainsi que pendant deux mois, j'aurais la merveilleuse et
sympathique voix d'Albert, toutes les heures, qui m'accompagnera dans
ma mission.
C'est donc ma modeste façon de rendre
hommage à ce grand monsieur de la radio et de la météorologie
nationale française.