lundi 18 novembre 2019

PUZZLE, L’AVENTURE INSOLITE

Voilà une belle occupation faite pour tous les paresseux, tous les convalescents, tous les retraités sans imagination, tous les détenus en prison, tous les casaniers indécrottables, et surtout ceux qui n’ont rien à faire de plus intelligent ou de plus sérieux. C’est ce que pense la majorité des gens, tous ceux qui n’ont jamais eu le vice sournois d’en entreprendre, ne serait-ce qu’un tout petit. Je viens d’en terminer un grand de près de mille pièces. Et ben...Je peux vous dire que pour de l’aventure , j’en ai eu... de l’aventure ! Et que d’émotions, que de suspenses redoutables, que de moments de désespoir surmontés ! Mais si ! Mais si ! Ne ricanez pas bêtement avant d’avoir lu la suite de mon récit.
Tout d’abord, cela commence innocemment, par la vue d’un puzzle inachevé qui traîne sous le lit d’une chambre située sous les combles de la maison. Pauvre chose abandonnée, par qui ? Pourquoi ? On ne le saura jamais. Un grand cadre surgit à votre vue, aux trois quarts vide, où surnagent quelques pièces, ébauche d’un magnifique tableau d'Auguste Renoir, "les jeunes filles au piano". Et là, un piège sournois se referme sur vous. Il est invisible indécelable, comme tous les pièges, et quand vous en prenez conscience, quelques jours plus tard, il est déjà trop tard, vous êtes déjà condamné. Comme un mauvais sort qu’on vous aura jeté, il vous prend soudain l’envie irrépressible, mystérieuse, envoûtante de vouloir l’achever. Cette occupation n’a jamais été votre « tasse de thé ». Pire ! Vous l’avez snobée comme la plupart des gens. Moi ? Faire un puzzle ? Comme tous ces débiles désœuvrés qui n’ont rien d’autre à faire !
Alors, tous les soirs, avant le coucher, vous montez vers le lieu de votre addiction « puzzilistique » comme l’alcoolique pousse la porte de son bar, après sa dure journée de travail. Et là, vous attend le nouveau casse-tête de nuit. Tout d’abord, le néophyte que vous êtes prend une pièce entre ses doigts et cherche où il peut bien mettre cette putain de petite chose. Cela prend des heures, des journées parfois, et quand vous trouvez enfin l’endroit magique, vous poussez un cri de joie comme l’orpailleur qui vient de trouver sa première pépite d’or de l’année. Mais il faut bien avouer que le rendement n’est pas terrible Alors commence le temps des stratégies. Déjà, on tente de regrouper les pièces par couleurs. Mais, bien sûr, les choses ne sont pas si simples ! Bon courage au léger daltonien que je suis! Il y a des nuances de gris qui sont ravageuses et d’une perversité diaboliques ! Ensuite, vous faites une découverte passionnante ; figurez-vous que les pièces possèdent des familles de formes ! Là, ça commence à prendre une tournure intéressante ! Beaucoup sont identiques mais...presque, voilà le gros piège sournois qui vous guette ! Il y a ce que je nomme les « faux amis ». Les pièces « Canada dry » ! Qui ont l’air d’être à leur place, qui ont l’air d’avoir la définitivement la bonne place ! Mais qui ne sont pas du tout à la bonne place ! Et il vous faudra des soirées et des soirées entières , pour enfin le comprendre ! Et même parfois, à la toute dernière extrémité, à la fin du puzzle. Il y a enfin la dernière subtilité, la subtilité suprême quand vous comprenez que le peintre, ici Renoir, a donné à ses coups de pinceaux, une ligne directrice verticale qui va être d’une puissance salvatrice extraordinaire pour trouver la bonne pièce au bon endroit.
Voilà pour les stratégies. Mais en attendant, que de moments de panique et même de franc désespoir ! Jugez plutôt ; vous avez un beau trou au beau milieu d’une zone déjà bien mise en place. Et dans ce trou, horriblement, vous ne trouvez aucune pièce pour le combler, aucune pièce, même de loin, ne peut s’y mettre ! Là, vous avez une envie furieuse de tout foutre en l’air ! Vous vous dîtes qu’on vous a volé ! Que ce puzzle est défectueux ! Que c’est un scandale de tromper les gens ainsi avec une marchandise aussi merdique !
Mais la terreur suprême, si c’est encore possible, c’est de croire qu’il vous manquera une pièce au denier moment, et que, comme un imbécile, vous avez travaillé des semaines pour rien ! Enfin, que vous êtes un abruti parfait de vous être lancé dans cette stupide occupation pour débiles mentaux ! Oui, je sais ! C’est un peu exagéré, mais cela résume bien mon état d’esprit dans ces moments-là.
Et puis on se dit qu’il faut quand même aller jusqu’au bout. Suivant la pensée d’un grand prince du du seizième siècle Guillaume d’Orange-Nassau :
« Il n’est point besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ! »
Et ...c’est bien vrai ! C’est merveilleusement vrai ! Merci Guillaume ! C’est exactement ce que j’ai fait. Même s’il manque des pièces, on peindra leur trou ! Ben voyons ! Voilà une vraie pensée de désespéré. Et donc le miracle opère quand je repends le collier. C’est ainsi qu’il est des pièces que vous prenez et qui trouvent leur place immédiatement, sans aucune réflexion, instamment, comme par miracle ! D’autres fois, vous essayez quinze pièces et c’est la toute dernière, la bonne, qui est enfin trouvée, dans un soupir féroce, à réveiller toute la maisonnée ! Mais le stress final, le plus angoissant, après avoir subi toutes ces péripéties insolentes, c’est quand il vous reste à peine cinq pièces et que vous n’arrivez pas à les placer ! Alors, dans un sentiment de colère désespérée, vous défaites toute la zone concernée, et vous entreprenez de replacer tous vos pions.
Je puis vous dire que lorsque vous placez la toute dernière pièce, il vous prend une envie furieuse d’entonner à tue-tête l’alléluia de Haendel ! C’est quasiment pavlovien !
Alors ? qu’est-ce que je vous disais ? C’est pas de l’aventure, ça ? Avec drames, rebondissements comme dans tout beau scénario de film. C’est là, sans aucun doute possible, qu’on apprend la patience, la lutte contre le découragement, la stratégie, le renoncement aux certitudes, les sacrifices nécessaires, la vie quoi ? Après, arrive la leçon de l’humilité absolue, quand une voix féminine proclame sans état d’âme : « ta cochonnerie, tu as l’intention de l’accrocher où ? Parce que je ne veux pas de ça nulle part dans la maison! » C’est ainsi que l’objet de votre passion, de votre orgueil, de votre fierté très éphémère, reprend le chemin du dessous de lit d’où il n’aurait jamais dû sortir !
« Ainsi passe la gloire du monde ! »

PS A la demande d’une personne mise en cause par mon récit , je dois avouer une basse calomnie qui n’est pas à mon honneur, et dont l’intéressée a exigée une rectification immédiate de ma part.