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dimanche 31 mars 2013

La solitude de Joseph

Décidément ce prénom porte à la solitude. On connaissait déjà celle de l'époux de la Sainte Vierge qui fut un père « morganatique ». Situation peu enviable s'il en fut ! Il y eut aussi le célèbre « père Joseph » éminence « grise » de Richelieu, travaillant dans l'ombre du grand ministre à la pourpre cardinalice et dans la discrétion historique la plus absolue, au point que quasiment aucun de nos concitoyens ne connaît son existence. Ils ont déjà du mal à situer le siècle où vécurent ces hommes, ce n'est pas pour connaître les faits et gestes d'un obscur capucin ! Mais revenons à celui qui m'a inspiré ce récit.
Une maison d'édition a eu la grande générosité de me refiler deux places pour cette manifestation annuelle, ce « bûcher des vanités » littéraire que l'on nomme « salon du livre », à la porte de Versailles. Je m'y suis pointé très démocratiquement en RER et en métro. La voiture devenant un moyen de transport dispendieux et un casse-tête infernal pour se garer. Sans oublier le racket éhonté des sociétés de gardiennages de nos chers, très chers, tas de ferrailles. Je suis donc arrivé sans encombres dans ce grand temple de la culture livresque, au bout d'une bonne heure de transport.
J'avais eu la bonne idée, un peu snob et très utilitaire, de me munir d'un bon bouquin pour passer le temps !
Quoi de plus normal quand on se rend à un salon consacré aux livres ! J'arrive donc dans ce « Barnum » de l'édition, et je commence à parcourir toutes les allées, tous ces stands où se vend et s'étale la production littéraire de l'année. Il ne faut pas se leurrer, c'est bien à une « foire » à laquelle on assiste. Il s'agit de vendre sa camelote aux badauds qui passent. Mon goût premier, à moi, c'est d'abord pour les beaux livres, ces petits bijoux de l'artisanat de la reliures et des belles éditions aux très belles images. Ce n'est pas de ma faute, je suis d'abord un « visuel » ! Le contenant m'intéressant presque autant que le contenu. Et là je tombe sur les éditions « M.Moleiro »
Une splendeur ! Le « must » ! Plus beau et plus riche que ça, il faut être un oligarque russe pour pouvoir se les offrir ! Je prends deux petites brochures gratuites mise à la disposition du visiteurs. Je les mets dans mon sac en plastique sans conviction, par réflexe.C'est seulement de retour à la maison que je m'apercevrais avec stupeur tout la beauté fantastique des miniatures qu'elles contiennent !
Des enluminures dorées d'une grâce sans pareil sur l'art oriental et médiéval. Ah punaise ! Et gratos encore ! Si j'avais su, j'en aurais piqué plus d'une ! Ensuite, puisqu'il faut sacrifier un peu à la culture et à la notoriété de ceux qui viennent faire signer leur œuvre, je me suis diriger vers les stands des grandes maisons d'éditions. Comme je ne suis pas un fana du léchage de pompe culturel devant un écrivain qui dédicace son « chef d'oeuvre » je me suis contenter de le photographier au passage. Ah ! Il y en avait du « beau linge » littéraire ! Tout le petit gratin que l'on voit habituellement dans nos lucarnes magiques. Des journalistes, des comédiens, des écrivains, des docteurs, et même un juge d'instruction échappé de son cabinet. Mais franchement, tout ceci m'a saoulé très rapidement.
A propos de « saoulé » j'ai quand même eu le plaisir et la joie de découvrir une « rareté » une chose incongrue ; le piano à cocktails du regretté Boris Vian ! Malgré cette petite distraction culturelle d'un autre âge, je n'ai plus le goût pour ce vedettariat temporaire et fabriqué à la gloire de la vanité humaine fragile et
très éphémère. C'est donc, un peu fatigué et désabusé que je me rapproche tout doucement de la sortie. Les stands sont plus clairsemés, la foule beaucoup moins dense, et le chaland plus rare. Et c'est là que je l'aperçois, mon brave Joseph. Il est assis derrière son stand, son tas de bouquins bien sagement entassés devant lui. Mais personne autour de lui ! C'est le grand désert ! Il est désespérément seul. Il ressemble à un petit retraité tenant un stand, au forum des associations de sa commune. Pourtant, sa bouille ronde et ses cheveux argentés me disent vaguement quelque chose.
Ah bon Dieu ! Mais c'est bien sûr ! Je vois soudain le titre des livres, sur la table :
« Un sac de billes » !
Joseph Joffo dont tout le monde a ,au moins, un exemplaire d'un de ses livres chez lui ! J'ai comme un pincement au cœur quand j'entends, au loin, les clameurs qui s'élèvent des stands des « vedettes »  du jour ! « Sic transit gloria mundi » ! J'adore cette expression latine que nos pères citaient souvent : « « Ainsi passe la gloire du monde » ! Et c'est bien vrai, quand je vois la silhouette voûtée de ce brave  Joseph ! Personne autour de lui ! Et moi, j'ai la suprême faiblesse, la timidité redoutable, la petite lâcheté mesquine de ne pas lui accorder, ne serait-ce que quelques instants de mon temps qui n'est plus précieux pour personne, depuis belle lurette ! Même si la création est un exercice solitaire, tout créateur a le désir secret d'une gloire populaire tapie au fond de son cœur. Même Cervantès, le « manchot de Lépante » lorsqu'il écrivait son « Don Quichotte » au fond de sa prison pour dette, devait y songer un peu. Même s'il ne se doutait pas de la renommée universelle et intemporelle que son chef d'oeuvre aurait par le suite. Quand cette gloire vous tombe dessus, quel bonheur cela doit-être ! Aucune grande fortune au monde ne peut donner ce genre d' ivresse. Mais quand elle s'envole ? Qu'il ne vous reste plus que l'amertume des souvenirs ? Pourtant, je suis sûr d'une chose, concernant cet auteur passé de mode, c'est qu'il lui reste un plaisir absolu, un bonheur simple que l'on ne lui retirera jamais. Ceci étant vrai pour n'importe qui ayant découvert ce trésor caché : l'écriture ; c'est la joie simple de générer des mots, des phrases, de créer des personnages ou simplement de raconter de belles histoires, inventées ou réelles qu'importe ! Tels des dieux, les créateurs sortent du néant ce que leur intelligence met en forme pour le bonheur de la multitude. Que l'on soit anonyme, célèbre, ou tombé dans l'oubli l'essentiel c'est de savoir que créer c'est faire un don de soi aux autres! Et d'une certaine manière, c'est une autre façon d'aimer la vie et l'humanité. Alors, mon brave Joseph « solitaire », je tempère ma tristesse à ton sujet, sachant tout le bonheur secret qui dort encore en toi.