Une maison d'édition a eu la grande
générosité de me refiler deux places pour cette manifestation
annuelle, ce « bûcher des vanités » littéraire que
l'on nomme « salon du livre », à la porte de Versailles.
Je m'y suis pointé très démocratiquement en RER et en métro. La
voiture devenant un moyen de transport dispendieux et un casse-tête
infernal pour se garer. Sans oublier le racket éhonté des sociétés
de gardiennages de nos chers, très chers, tas de ferrailles. Je suis
donc arrivé sans encombres dans ce grand temple de la culture
livresque, au bout d'une bonne heure de transport.
J'avais eu la bonne idée, un peu snob
et très utilitaire, de me munir d'un bon bouquin pour passer le
temps !
Quoi de plus normal quand on se rend à
un salon consacré aux livres ! J'arrive donc dans ce « Barnum »
de l'édition, et je commence à parcourir toutes les allées, tous
ces stands où se vend et s'étale la production littéraire de
l'année. Il ne faut pas se leurrer, c'est bien à une « foire »
à laquelle on assiste. Il s'agit de vendre sa camelote aux badauds
qui passent. Mon goût premier, à moi, c'est d'abord pour les beaux
livres, ces petits bijoux de l'artisanat de la reliures et des belles
éditions aux très belles images. Ce n'est pas de ma faute, je suis
d'abord un « visuel » ! Le contenant m'intéressant
presque autant que le contenu. Et là je tombe sur les éditions « M.Moleiro »
Une splendeur ! Le « must » !
Plus beau et plus riche que ça, il faut être un oligarque russe pour pouvoir se les offrir ! Je prends deux petites brochures
gratuites mise à la disposition du visiteurs. Je les mets dans mon
sac en plastique sans conviction, par réflexe.C'est seulement de
retour à la maison que je m'apercevrais avec stupeur tout la beauté
fantastique des miniatures qu'elles contiennent !
Des enluminures dorées d'une grâce
sans pareil sur l'art oriental et médiéval. Ah punaise ! Et
gratos encore ! Si j'avais su, j'en aurais piqué plus d'une !
Ensuite, puisqu'il faut sacrifier un peu à la culture et à la
notoriété de ceux qui viennent faire signer leur œuvre, je me suis
diriger vers les stands des grandes maisons d'éditions. Comme je ne
suis pas un fana du léchage de pompe culturel devant un écrivain
qui dédicace son « chef d'oeuvre » je me suis contenter
de le photographier au passage. Ah ! Il y en avait du « beau
linge » littéraire ! Tout le petit gratin que l'on voit
habituellement dans nos lucarnes magiques. Des journalistes, des
comédiens, des écrivains, des docteurs, et même un juge
d'instruction échappé de son cabinet. Mais franchement, tout ceci
m'a saoulé très rapidement.
A propos de « saoulé »
j'ai quand même eu le plaisir et la joie de découvrir une
« rareté » une chose incongrue ; le piano à
cocktails du regretté Boris Vian ! Malgré cette petite distraction culturelle d'un autre âge, je n'ai plus le goût pour ce
vedettariat temporaire et fabriqué à la gloire de la vanité
humaine fragile et
très éphémère. C'est donc, un peu fatigué et
désabusé que je me rapproche tout doucement de la sortie. Les
stands sont plus clairsemés, la foule beaucoup moins dense, et le
chaland plus rare. Et c'est là que je l'aperçois, mon brave Joseph.
Il est assis derrière son stand, son tas de bouquins bien sagement
entassés devant lui. Mais personne autour de lui ! C'est le
grand désert ! Il est désespérément seul. Il ressemble à un
petit retraité tenant un stand, au forum des associations de sa
commune. Pourtant, sa bouille ronde et ses cheveux argentés me
disent vaguement quelque chose.
Ah bon Dieu ! Mais c'est bien
sûr ! Je vois soudain le titre des livres, sur la table :
« Un sac de billes » !
Joseph Joffo dont tout le monde a ,au
moins, un exemplaire d'un de ses livres chez lui ! J'ai comme un
pincement au cœur quand j'entends, au loin, les clameurs qui
s'élèvent des stands des « vedettes » du jour !
« Sic transit gloria mundi » ! J'adore cette
expression latine que nos pères citaient souvent : « «
Ainsi passe la gloire du monde » ! Et c'est bien vrai, quand je
vois la silhouette voûtée de ce brave Joseph ! Personne
autour de lui ! Et moi, j'ai la suprême faiblesse, la timidité
redoutable, la petite lâcheté mesquine de ne pas lui accorder, ne
serait-ce que quelques instants de mon temps qui n'est plus précieux
pour personne, depuis belle lurette ! Même si la création est
un exercice solitaire, tout créateur a le désir secret d'une gloire
populaire tapie au fond de son cœur. Même Cervantès, le « manchot
de Lépante » lorsqu'il écrivait son « Don Quichotte »
au fond de sa prison pour dette, devait y songer un peu. Même s'il
ne se doutait pas de la renommée universelle et intemporelle que son
chef d'oeuvre aurait par le suite. Quand cette gloire vous tombe
dessus, quel bonheur cela doit-être ! Aucune grande fortune au
monde ne peut donner ce genre d' ivresse. Mais quand elle s'envole ?
Qu'il ne vous reste plus que l'amertume des souvenirs ?
Pourtant, je suis sûr d'une chose, concernant cet auteur passé de
mode, c'est qu'il lui reste un plaisir absolu, un bonheur simple que
l'on ne lui retirera jamais. Ceci étant vrai pour n'importe qui
ayant découvert ce trésor caché : l'écriture ; c'est la
joie simple de générer des mots, des phrases, de créer des
personnages ou simplement de raconter de belles histoires, inventées
ou réelles qu'importe ! Tels des dieux, les créateurs sortent
du néant ce que leur intelligence met en forme pour le bonheur de la
multitude. Que l'on soit anonyme, célèbre, ou tombé dans l'oubli
l'essentiel c'est de savoir que créer c'est faire un don de soi aux
autres! Et d'une certaine manière, c'est une autre façon d'aimer la
vie et l'humanité. Alors, mon brave Joseph « solitaire »,
je tempère ma tristesse à ton sujet, sachant tout le bonheur secret
qui dort encore en toi.
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