_Oui ! Entrez Docteur ! Je vous les ai préparés !
Non ! Il ne s’agit pas de paupiettes ou de chemises repassées, seulement de trois jeunes bambins attendant avec angoisse, que se reproduise la séance mensuelle de la torture des vaccinations obligatoires.
Et le cérémonial est immuable !
Le docteur prépare sa seringue, tout en discutant avec la maman.
Le liquide transparent gicle en l’air, quand soudain le docteur attrape, d’un geste vif, le petit bras nu du bambin.
_Regardez votre grand frère aîné, comme il est courageux ! Il ne va pas pleurer ! Il va vous montrer comme il est fort !
Tous les aîné(e)s du monde, sous toutes les latitudes, dans toutes les civilisations, à toutes les époques, ont dû profondément haïr ce genre de réflexion imbécile de la part de « grandes personnes » un tantinet irresponsables, et peu psychologues !
Vous allez me dire en quoi la chance ou surtout la « malchance » d’avoir été l’aîné d’une fratrie vous confère des vertus ou des qualités supérieures aux cadets ! Hein ?
Mais non ! Alors qu’ils n’ont rien demandé à personne, il faut qu’ils soient les plus « sages », les plus « courageux », les plus « attentifs « pour leurs petits frères cadets !
C’est tout juste si on ne leur demande pas qu’ils soient les plus « intelligents », par-dessus le marché !
L’aîné, malgré les flatteries hypocrites du praticien, se met à crier aussi fort que le reste de la fratrie solidaire !
La séance de « tortures » terminée, le « bourreau » sort de l’appartement, les oreilles pleines de braillements réprobateurs.
C’est que la vie n’est pas facile, à six, dans un « deux pièces » minuscule, situé dans un hôtel minable de la Porte d’Orléans !
Il existe toujours, cet hôtel ! Il a pris du galon, à notre époque !
Il fait dans le luxe touristique, à présent !
Mais dans le début des années cinquante, il ne sert que de refuge provisoire pour des familles de militaires expatriées des « colonies », en attente, depuis des mois, d’un appartement plus décent. Donc, notre brave carabin revint une seconde fois, la mine toujours guillerette, et le compliment toujours flatteur, aux lèvres !
_Regardez votre grand…. ! Ah ! Mais où est-il passé ?
La seringue en l’air, accompagnée de la maman soudain angoissée, ils entreprennent tous deux une fouille en règle du minuscule logis !
C’est qu’il n’y a pas grand chose à fouiller !
Une armoire déjà pleine, une commode dont les tiroirs sont visiblement trop petits pour cacher un fuyard, une minuscule salle de bain, le tour est vite fait !
Horreur ! Il faut se rendre à l’évidence, le gamin a disparu !
La maman, folle d’angoisse, prend l’ascenseur pour aller voir le concierge !
Celui-ci est formel ! Il n’a vu passé personne !
De retour à l’appartement, la maman, honteuse et confuse, est obligée de renvoyer le docteur ! Celui-ci, le regard noir, examine avec suspicion, deux petits visages rigolards, des frangins rescapés, à la limite de l’insolence !
Il remballe ses instruments de torture, et sort furibard !
La porte vient à peine de se refermer que :
_Coucou ! C’est moi ! « Yeu » suis pas perdu !
Une petite tête blonde émerge alors de l’immense paquetage bleu marine de son père !
Un peu essoufflé !
C’est que ça pèse lourd les uniformes en gros drap de papa !
Et au fond du sac, l’oxygène devenait rare !
Les petites fesses tendres du « déserteur en rase campagne, face à l’ennemi » ont bien été douloureuses quelques heures, mais que voulez-vous !
Tout acte « héroïque » à son prix !
Il y a bien une petite injustice dans cette histoire ; les deux servants du « traître » n’ont subi aucunes représailles, eux !
Toujours la malédiction de l’aîné !
PS. Une pensée émue pour tous les « aîné(e) » du monde, qui comme moi, ont eu à subir les redoutables préjugés de leurs parents.