dimanche 28 octobre 2007

Esprit frappeur es-tu là ?

Notre collègue, qui est petit, rondouillard, a une tête aussi ronde que ses lunettes de myope aux verres grands comme des hublots de péniche.
Malgré sa relative jeunesse, une calvitie précoce a déjà fait ses ravages, et laisse voir un beau crâne luisant.
Nous travaillons de nuit et nous attendons tous les jours avec impatience, la relève de nos collègues, tôt le matin, sur les coups de cinq heures !
Ce jour là, notre petit rondouillard arrive en arborant
la magnifique « gapette » des familles !
La belle casquette à carreau du turfiste en goguette !
Comme nous n’avons pas l’habitude de le voir si « élégamment » couvert, nous sommes tous les trois intrigués !
Ses petits yeux de miro clignotent d’énervement !

_Quoi ! Quoi ! Quoi ! Qu’est-ce qu’y a ? M’avez jamais vu ? Lance-t-il, un rien agacé !
_Non mais c’est juste que tu as une belle casquette !


Qu’on lui fait poliment !
La journée se déroule sans incident précis, à part le couvre-chef insolite toujours rivé sur le crâne du collègue !
Vous savez ce que c'est ! Les lazzis, les quolibets, les grosses vacheries perverses pleuvent sur notre pauvre camarade de plus en plus furieux et fébrile !
Alors son « secret » est décidément trop lourd à porter !
Avec un air mi-amusé, mi-gêné, il retire son galurin pour nous laisser voir un magnifique pansement de sparadrap en force de croix !
La « chose incongrue » nous fait encore plus éclater de rire que la gapette à carreaux !
Que voulez-vous ! Nous sommes tous des êtres cruels et impitoyables !

_Ouais, j’ai été agressé par un abruti, ce matin !
_Ah ! Ben y t’as pas raté mon pauvre ?


Soudain, nous sommes tous emplis à la fois de compassion et de curiosité.

_ Et avec quoi il t’a fait cette belle …chose, demande notre chef d’équipe ?

Car le pansement dissimulait mal une belle bosse proéminente à souhait !


_Avec une batte de base-ball !
_Avec une batte de base-ball ???

Font en chœur les collègues horrifiés !

_Mais qui est ce « criminel » qui a osé te faire ça !

_Et t’as pas porté plainte immédiatement ?

On sent la gêne le gagner, notre « pauv’biquet » !
C’est que, ce qu’il lui reste à nous avouer est dur à…… sortir !
Et il ne peut plus reculer, car il nous en a trop dit !

_Ouais c’est ce « con » de laitier « arabe » !

Il insiste bien sur le terme « arabe » pour que nous compatissions un peu plus lâchement à sa peine !

_Ben, le matin, quand je sors de bonne heure, je marche le long des trottoirs et j’ai aperçu un litre de lait sur le pas d’une porte, mais au moment où je me baissais pour le prendre, j’ai reçu sur le crâne un grand coup d’un objet que je n’ai pas reconnu tout de suite ! Et j’ai entendu ce con de « bougnoule » m’injurier copieusement !

Ce que n’a pas avoué notre camarade, dans sa grande « pudeur », c’est que cela faisait longtemps que ce manège durait !
Alors ce « teigneux » de laitier qui en avait marre de se faire engueuler, et même de se faire soupçonner de vol (les gens sont si méchants !) avait tendu un piège « criminel » à notre brave copain !
Bon ! Il est vrai que sa radinerie était légendaire !
Mais quand même ! Quelle idée de se faire justice soi-même ! Hein ?
C’est proprement scandaleux ! Rassurez-vous, il y a bien longtemps que les laitiers ne déposent plus leurs bouteilles sur les paliers des pavillons de nos belles banlieues !
Pour des raisons que tout le monde comprend !
La délinquance, ma pauv’dame !
Et avec tous ces voyous qui traînent !

mardi 23 octobre 2007

Un visage oublié

Proust parlait de sa madeleine. Moi, c'est un visage qui m'a produit ce trouble sentimental, plein de réminiscences juvéniles.
L'autre jour, je regardais un "nanard" cinématographique en noir et blanc des années soixante, quand tout à coup, je l'ai reconnu, LUI!
Ce visage émacié, ce regard tour à tour cruel, amusé, cynique, et profond!
Quand il s'éclairait d'un sourire, on ne voyait plus de lui, que cette large bouche béante, au rictus si particulier. Ce fût comme une bouffée de nostalgie qui m'embrasa soudain le cœur, comme un feu de la Saint Jean, un soir d'été! Il était revenu, mon Cyrano!
Le seul! L'unique! Le vrai!
Celui qui sera éternellement dans mon cœur de petit garçon, émerveillé par une soirée magique passée devant un téléviseur noir et blanc et en 819 lignes, il y a de cela si longtemps!

Ne me bassinez pas pour me dire qu'il y en eût d'aussi talentueux que lui;
Jean Piat, Belmondo, Pierre Dux, Jacques Weber, et tant d'autres!
Je m'en fous!
Pour l'éternité il restera le mien!
Il est tellement ancré dans ma mémoire, dans mon esprit, dans mon âme qu'il fait partie de moi d'une manière indissoluble!
Il m'a influencé, marqué aux fers rouges, pour le restant de ma vie!

"Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul!"

Que ne m'a-t-il pas donné des conseils plus utiles et plus judicieux pour survivre et monter dans cette société impitoyable et cynique, que celui-ci!
Mais je ne lui en voudrai jamais! Il était le théâtre incarné!
Je me souviens aussi d'une scène sublime du "Marchand de Venise" où il y campait un Shylock pétrit de haine, mais tressaillant d'humanité jusqu'aux sanglots que faisait naître en nous, son désespoir!
Des instants aussi magiques, je n'en ai pas vécu souvent, au théâtre, et encore moins à la télévision, depuis que tu as disparu beaucoup trop tôt, mon cher Daniel Sorano, dont le nom rimait si bien avec celui de Cyrano!