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vendredi 23 mars 2007

Adieu Madagascar !



Il y en a qui naissent, tout vulgairement, dans le 14ième arrondissement de Paris, ou à Montluçon ! Ben moi, pour ne pas faire comme tout le monde, je suis né à 10000 kilomètres de mon beau pays ! A Tananarive, Madagascar ! D’ailleurs, si par hasard, un “pékin » vous donne son nom, et qu’ il y a plus de « a » que de consonnes dans celui-ci ; n’hésitez plus à comprendre d’où il vient, il est malgache !
Donc, je suis né dans un hôpital, dans cette grande ville, au milieu de petits malgaches, et c’était moi alors, la « pièce incongrue », le produit « exogène », le « poussin noir » de la couvée ! Marrant non ?
Mes premières expériences sensuelles furent donc des odeurs, des goûts étranges, des choses peu communes dont je serais sevré très rapidement, et que je ne retrouverai plus jamais……sauf ! Mais je vous en parlerai plus tard !


Pour parfaire mon éducation sensorielle, ma mère me confiait à la « ramatou », notre domestique noire, qui me transportais au marché de Tananarive, dans son dos, à la mode africaine ! Vous imaginez une petite tête blonde émergeant d’un coufin multicolor, dans le dos de cette femme, à travers les étals de poissons, de fruits exotiques, de fleurs, de légumes ?
Ah ! Je devais avoir un franc succès ! J’aurai bien aimé comprendre ce que les femmes malgaches pouvaient bien se dire, quand elles papotaient ensemble, avec ma nounou indigène, à mon sujet !
Comme tout enfant qui se respecte, je donnais des frayeurs épouvantables à mes parents !
Un jour, je devais avoir à peine huit mois, et ne marchais donc pas encore, je me suis « évadé » de mon grand lit, pourtant fait de quatre hautes planches ! Disparu !
Kidnapping ? Enlèvement par des partisans malgaches de l’indépendance ? Pas du tout !
J’étais passé sous le matelas, j’avais défait une planche du sommier, et m’étais carapaté en rampant !
Je me promenais aussi, au fond du jardin, sous d’immenses toiles de soie, transparentes où courraient des tarentules grosses comme des assiettes à dessert !

Mais comme j’étais une trop grosse mouche, elles ne m’ont jamais rien fait !
Notre blanchisseur chinois avait d'horribles balafres parallèles sur le visage.
On dit qu'une nuit, une de ces gentilles bestioles était venue trottiner sur sa figure!
J’ai quitté cette terre qui m'a vu naître, où j’ai grandi pendant près de trois ans.
Je ne savais pas encore que je ne la reverra plus jamais.
Adieu la brousse aux senteurs vanillées!
Adieu les petits copains malgaches; Bakouli, Delphine et Germaine!


Adieu la saveur des sauterelles grillées!
Adieu les promenades au marché bigarré et bruyant de Tananarive, sanglé dans le dos de la "ramatou", la bonne toujours gaie et dévouée.
Donc, un beau matin, sur le tarmac de la base aérienne d'Ivato, ce fût la cohue des grands départs pour la métropole.

Au milieu d'un fouillis indescriptible de bagages, de souvenirs hétéroclites glanés comme autant de trophées glorieux qui encombreront pendant des décennies des buffets de salle à manger, dans un reproche dérisoire et silencieux, les adieux se sont fait déchirants comme à l'accoutumé.
Un énorme individu habillé d'une combinaison de vol, sorte de maître de cérémonie, tenant un papier à la main, a arrêté le bruissant caquetage, en ordonnant aux passagers de le suivre
La troupe des voyageurs s'est ébranlée, dans un silence penaud, sur la piste aux revêtements métalliques, dont les trous réguliers laissent voir la terre de latérite rouge.
L'oiseau du voyage était là! Devant eux! Tout sombre et taciturne!

C'était un grand quadrimoteur, un vieil appareil militaire rescapé des bombardements sur la Ruhr, cadeau empoisonné de nos chers amis britanniques
Les spécialistes disaient que c'était un "Halifax". Il fût donné à la France pour lui permettre d'assurer le transport de ses troupes, et des personnels civils, après la saignée provoquée par la guerre, dans notre patrimoine aéronautique.
Tout cette petite troupe s'est arrêtée devant une ouverture, près de la queue de l’appareil !
Un petit escabeau trônait au milieu de cette béante caverne.

Ce sera le premier souvenir conscient du petit garçon qui regardait, fasciné, les entrailles de ce monstre d'aluminium. Comme il était un des plus jeunes passagers, (avec son frangin, que je ne dois pas oublié) et que sa curiosité le poussait dans l'antre de la bête, on le laissa grimper le premier.
Une main féminine, tendue, l'accueillit pour le saisir et l'aider à grimper à bord.
Le sourire de l'hôtesse était gracieux et maternel pour ce petit "bout de choux" en culotte courte et bouffante, comme c'est la mode pour les enfants en cette période d'après-guerre.
Elle portait sur la tête le même petit chapeau qu'il a déjà vu sur celle de son papa, avec le même petit oiseau de métal doré.
Tout le monde était maintenant installé à bord, sur des fauteuils en toile montés en toute hâte et qui ne faisaient pas oublier la vocation première de l'appareil, c'est-à-dire le bombardement !.
Les préparatifs terminés, l'équipage est à son poste dans la cabine de pilotage.
Soudain, après quelques toussotements chaotiques, un bruit infernal se déchaine, suivi quelques secondes plus tard par un autre, puis, par un troisième et enfin par un quatrième!
Les quatre monstres sortirent ainsi, d'une longue léthargie impatiente. Leur vacarme est assourdissant!
Le petit garçon s’est senti brusquement oppressé, bien qu'il fût blotti dans le giron maternel. Son enthousiasme avait fondu en proportion inverse des décibels reçus par ses jeunes oreilles!
Alors la machine s'ébroua! L'oiseau de métal se s'éveillait.
Tous les passagers tressautaient en choeur, comme dans une sorte de gigue initiatique préparant une cérémonie expiatoire!
L'avion s'aligna sur la piste principale. Les freins furent lâchés. La vitesse augmenta progressivement, ce qui eut l'heureux effet de supprimer les tressautements ridicules. Mais le bruit devint de plus en plus insupportable, « exploit » qui aurait semblé impossible quelques secondes avant!
Hop! Un brusque mouvement de l'appareil vers le haut fit se soulever les estomacs.
Le miracle venait de se produire! Oh! Emerveillement indicible!
Mon petit nez collé sur la vitre du hublot, je crus faire un rêve éveillé!
Je volais dans les airs pour la première fois de ma vie! Je vis en bas, tout petit, les maisons, la brousse, les gens et les engins mécaniques sur le bord de la piste!
Oublié, le bruit des quatre cavaliers de l'apocalypse!
Oubliée, l'angoisse qui sert les entrailles!
Je n’ai pas les yeux assez grands pour voir tout ce qui me passionne! En bas ce ne sont que rizières aux formes géométriques, prairies, 

troupeaux de zébus, ces étranges bovins avec leur grosse bosse sur le dos!


L'avion amorce maintenant un large virage en montée, cap à l'ouest, à l'assaut de la masse nuageuse des orages tropicaux. Elle entoure bientôt l'appareil de sa lumière cotonneuse et me renvoie, moi et les occupants, à la promiscuité frileuse de la soute du bombardier. Mais un malheur n'arrivant jamais seul, il fit soudain de plus en plus froid! Il fallut se couvrir chaudement. De longues heures monotones se préparaient. Il faut s'armer de patience!

L'aventure, ainsi commencée, va durer quatre longues journées.
Ce sera d'abord le survol de l'archipel des Comores
Zanzibar et la côte des pirates, les neiges du Kilimanjaro, peintes de rose par la nuit tombante et le premier atterrissage sur le continent africain à Nairobi!
Après, direction Khartoum, dont le nom éclate comme un roulement de tambour de brousse. Fournaise impitoyable! Qui fait beaucoup souffrir la maman du petit garçon!
Où il faut boire salé afin d'éviter la déshydratation!
Ensuite, c'est le désert de Libye où finissent de rouiller les carcasses des véhicules blindés des armées de Rommel et de Montgomery. Et on se pose à El Haden !
Tunis est atteinte, puis ce sera la traversée finale de la Méditerranée vers Istres Marseille . Enfin, dans le crépuscule tombant sur une grande cité où le petit garçon aperçoit une drôle de petite tour pointue, l'atterrissage au Bourget!
Mais c’est pas tout !
Une vingtaine d’année plus tard, je mange dans un restaurant chinois ! Je commande innocemment des lychees ! Ô stupeur incomparable ! Un goût merveilleux, venu du fond des âges, me saute aux papilles ! Mais où-je goûté cette chose délicieuse que je sais, au fond de moi, avoir déjà mangé quelque part ?
La réponse viendra de ma maman ! Car, dans les années soixante-dix, il n’y avait que deux pays au monde qui cultivaient ce fruit ; Madagascar et la Chine !
Je sais ! Depuis, cela a beaucoup évolué ! Mais à l’époque, c’était encore vrai !
Et donc, comme la fameuse « Madeleine de Proust » la mémoire du goût venait de me transporter d’un seul coup dans ma petite enfance !
Il ne faut jamais oublier que nos cinq sens ont une mémoire !
C’est comme pour le toucher !
Pourquoi croyez-vous que beaucoup d’hommes ont le fantasme mammaire ? C’est tout simplement à cause de l’allaitement maternel !