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mardi 8 décembre 2009

La banquette du Fouquet's


« Objets inanimés, avez-vous donc une âme »! Lamartine


Bon! Je sens que des râleurs impénitents vont encore me dire que je fais dans la facilité. De toutes les manières, de moins en moins de personnes connaissent les vers d'Alphonse! Il suffit de voir les réponses débiles faites à des jeux faussement culturels à la télé, pour se rendre compte quels sommets d'inculture sont maintenant atteints par nos charmants compatriotes!
Pour les histoires de fesses de chanteuses hydrocéphales, ils sont incollables! Mais pour connaître les œuvres immortelles de nos grands génies, là, ils sont aux abonnés absents!
Bref! Pour sortir de cette morosité qui me tombe soudain sur les épaules, je vais vous raconter l'histoire incongrue d'un objet curieux.
C'était à l'occasion du baptême d'un de mes petits neveux. Nous avons tous subis ces cérémonies familiales où il faut se farcir la messe, les embrassades plus ou moins sincères, les pompes qui font mal aux pieds, la mauvaise humeur du conjoint, les échanges de nouvelles dont tout le monde se fout et qui seront oubliés cinq minutes plus tard, etc... Mais nous avons droit, aussi, à l'apéro, au « drink » ou au buffet. Ce jour-là, une belle tente blanche abritait dans le jardin de la propriété des parents un banquet d'une dizaine de mètre de long fait de grandes tables et de chaises.
Tout en me baladant, un verre d'apéro à la main, je me rapprochais d'un meuble qui aurait pu être banal et sans intérêt s'il ne s'était pas agi d'une banquette de bistrot recouvert d'un velours aux motifs tarabiscotés, d'un mauve surprenant, et sur lequel papotaient gentiment quelques invitées.
Moi, ayant toujours une curiosité de vielle chatte ménopausée, je profite de la présence de ma belle-sœur dans les parages pour lui demander d'où vient cet objet.
Elle me dit alors, sur le ton de la confidence, que cette banquette provenait du mobilier du célèbre restaurant parisien, le Fouquet's pour ne pas le nommer! Ce pauvre meuble fut sauvé in-extrémis d'une destruction annoncée lors d'un « relookage » du dit restaurant, par une vente aux enchères.
Vente aux enchères destinée sûrement à amortir les frais colossaux des travaux. Y a pas de petites économies! N'est-ce pas? Même aux champs Élysée!
Ah! Mais ça changeait tout! Vous pensez bien que je le regardais soudain, ce « velours » avec un autre œil! Et pas avec un « œil de velours », celui réservé aux seuls prédateurs amoureux! Non! Avec l'œil du voyeur, du « paparazzi » des souvenirs culturels et artistiques.
J'imaginais soudain, et en un quart de seconde, les augustes fessiers, les postérieurs célèbres qui avaient dû écraser cette pauvre banquette pendant des décennies! Le tout Paris artistique, littéraire et politique de la capitale pendant près d'un siècle! Fernandel, Gabin, Maurice Chevalier, Mistinguett, etc... La liste est tellement longue qu'elle en donne le tournis! Que j'aurais aimé faire partie d'une de ces petites touffes de laine, fondue dans le velours, pour écouter les discussions de contrats entre FrançoisTruffaut et son producteur! Ou entendre délirer Godard sur ses improbables scénarii!
Et que dire des échanges savoureux entre amants célèbres! Entendre Pierre Fresnay « engueuler » Yvonne Printemps lançant des œillades peu discrètes à son voisin de table. Tout un monde s'agitait, revivait soudain devant moi. Il a fallu qu'un abruti anonyme me réveillât brutalement pour me dire que nous pouvions passer à table, pour me pousser hors de ma rêverie nostalgique. Et oui, mon cher Alphonse! Les objets inanimés ont bien une âme. Celle forgée par nos souvenirs et par notre culture. Encore faut-il qu'il y ait « souvenirs » et « culture »!
Mais ceci est une autre histoire comme le radotait souvent un vieux franc-maçon britannique de ma connaissance.