samedi 22 mars 2008

Un instant magique

Qui n’a pas connu le brouhaha joyeux, et les cliquetis des couverts, dans un self-service d’entreprise ?
Le mien se situait au deuxième étage de l’aérogare d’Orly.
Un jour, je m’y assois comme d’habitude pour « claper » en paix, avec deux ou trois collègues.
A deux mètres de nous, un vieux noir mangeait solitaire, la tête penchée sur son assiette.
Sa salopette bleue, d’une crasse indéfinissable, indiquait qu’il devait travailler dans quelque service d’entretien peu glorieux.
Son air lugubre et triste n’attirait pas l’attention.
C’est vous dire, si dans l’insouciance de notre jeunesse nous n’y accordions pas plus d’importance qu’au portemanteau sur lequel étaient accrochées nos affaires !
Soudain, alors que nous devisions sûrement sur
un sujet « vachement » important pour nos jeunes cervelles, un son incongru et puissant sembla sortir de nulle part.
Le vieil homme noir se mit à chanter.
Sa voix profonde et grave monta dans la pièce, comme un cataclysme imprévisible.
Il chanta le plus beau « negro-spiritual » que je n’avais jamais entendu.
Vous dire que la salle entière fut pétrifiée dans un silence quasiment religieux serait d’une banalité touchante. Ce fut pourtant le cas !
Même ces connes de mouches restaient immobiles sur leur morceau de sucre !
Il chantait avec une émotion, une conviction, un lyrisme à faire chialer une armée de policiers chinois ! Toute la détresse d’une histoire tragique nous sauta à la figure, nullement invitée dans nos petites vies douillettes et tranquilles.
Nous fûmes plongés instantanément dans les champs de coton de la Louisiane
Il ne s’était même pas levé pour chanter, et semblait le faire uniquement pour lui-même, en ignorant les gens qui l’entouraient.
Quand les dernières notes se turent, le silence qui suivit marquait encore notre profond bouleversement. Mais une déflagration d’applaudissement vint l’interrompre brutalement.
Alors, « l’artiste improvisé » se leva, salua la foule avec politesse et déférence, puis se remit à manger, comme si tout cela n’avait pas la moindre importance.
Certains vont encore renauder en pensant que cet incident banal ne mérite aucune attention.
Pour moi, plus de trente longues années après, il m’émeut encore !
Faut-il être bête ! N’est-ce pas ?

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