Le poste de police de la base aérienne de Bou Sfer était bien fréquenté quand j'eus la joie et le bonheur d'y faire un séjour prolongé.
C'est que les « mauvais garçons » punis pour « mauvaise conduite » y étaient très nombreux.
Normal! Que vouliez-vous faire pour vous distraire, à 2500 kms de chez vous, dans un endroit désertique où la seule « réjouissance » était de cramer au chalumeau les punaises qui envahissaient votre plumard!
Nous n'étions pas réellement en prison. Nous faisions ce que le règlement militaire appelait pudiquement de la « salle de police »!
C'est à dire que dans la journée, nous travaillions tout à fait normalement, mais que le soir, au lieu de rejoindre nos camarades dans nos chambrées, nous allions au poste de police, dormir dans de belles cellules réservées spécialement pour nous!
Au risque de passer pour un farfelu, et pire, pour un malade mental, je vous dirais que j'étais ravi de rejoindre ma cellule, tous les soirs!
Pour plusieurs raisons; la première, c'est qu'elle n'était pas envahie de punaises qui vous bouffait le corps toutes les nuits, et la deuxième, c'est qu'il y régnait un calme, une paix seulement brisée par les hurlements de quelques coyotes et quelques fennecs, dans la nuit algérienne!
Sons mille fois plus mélodieux et harmonieux que les braillements d'ivrognes et de fêtards qui se prolongeaient parfois jusqu'à une heure du matin, dans des chambrées enfumées de mauvais tabac!
Et puis j'étais entouré, dans la salle commune, avant l'extinction des feux, par une troupe de joyeux drilles, dont un « guitariste » futur instit.
Celui-ci, dans un épanchement de confidence, nous narra l'aventure qui lui valait ce séjour « trois étoiles » parmi nous.
Il travaillait à l'escale, c'est à dire en bord de piste de l'aérodrome, dans de grands hangars, à des tâches administratives plus ou moins obscures.
Un jour, il reçoit la nouvelle stupéfiante de la venue de l'Ambassadeur de France en Algérie qui doit passer par Bou-Sfer!
Cet apprenti fayot de l'Education nationale téléphone immédiatement et directement à notre colonel commandant la base pour l'avertir de la « bonne » nouvelle.
Celui-ci, un sanguin apoplectique, et surtout très imbibé d'alcool, est tétanisé par l'évènement!
En moins de temps qu'il ne faut à un légionnaire moyen pour écluser sa « botte » de bibine et notre officier supérieur rapplique dare-dare avec la clique de la Légion sur le tarmac de la base.
Pour les quelques ignards qui ne le sauraient toujours pas, une « clique » n'est pas un rassemblement de « malfaisants » ou de « voyous vindicatifs » mais un orchestre militaire!
Le tapis rouge est déployé. Les soldats sont impeccablement bien alignés. Notre colon, les gants blancs (beurre frais) , et l'uniforme irréprochable fond comme un glaçon sur une plaque chauffante, au soleil impitoyable du désert tout proche!
Enfin l'avion fait son approche. C'est un vieux DC3 fatigué qui a fait toutes les guerres coloniales de la France.
Il se pose. Il vient se garer très sagement devant cette garde d'honneur, et coupe ses moteurs.
La porte s'ouvre. La musique retentit. Et sortent ......deux sous-off en tenue de vol cradingue, visiblement ahuris de l'accueil qu'on leur réserve!
Le colonel se précipite, angoissé.
_Où est l'ambassadeur, messieurs?
_Quel ambassadeur, mon colonel?
_Mais il ne devait pas venir?
_Non, mon colonel! C'est juste son avion que nous amenons pour une visite technique!
Hou! La! La! Dans le regard au bord de l'apoplexie, d'un colonel ainsi ridiculisé devant sa troupe, la vision d'un soldat se faisant fusiller de douze balles dans la peau a dû passer dans le crâne du colonel.
Il l'aurait bien étranglé lui-même, mais se contenta de lui infliger trente jours d'arrêt de rigueur!
Voilà pourquoi je me suis farci pendant dix jours, tous les soirs, le massacre de « jeux interdits » à la guitare, par un futur « tortionnaire » d'élèves!
Heureusement, « mai 68 » n'était pas loin.
Sans être devin, ça m'étonnerait qu'il leur ait raconté son exploit, à ses futurs cancres!
Il est des « actes de bravoure » qu'il vaut mieux garder pour soi!
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