mercredi 13 juin 2007

Caïn n’a pas tué Abel

C’était un collège privé d'une ville de la banlieue parisienne.
Il était dirigé par deux moines défroqués. Son propriétaire était un petit corse d’ un mètre soixante au garrot, habillé comme un mafioso de Chicago des années trente, c'est à dire d’un chapeau de feutre gris avec une bande noire, d’un manteau en poil de chameau beige jeté négligemment sur les épaules, d’un costume rayé trois pièces, de pompes bi-colores noires et blanches. Il avait un visage rond, ridé, à la peau mate, planté d’un long fume-cigarette. Sa femme, aux cheveux blancs et au bon sourire de normande, faisait un mètre quatre vingt bien sonné, en étant deux fois plus large que lui. Ceux qui penseraient à un meuble très connu, de la même origine, n’auraient pas tout à fait tort!
Ce petit collège privé représente pour moi les plus merveilleux souvenirs d'une scolarité chaotique.
J’avais pour joyeux compagnons le fils d’un sénateur communiste, celui d’un député « UNR » très célèbre, qui était en même temps le neveu d’un amiral trublion et « écolo » avant la lettre. J’avais aussi pour copain le fils d’un célèbre présentateur radiophonique qui avait été exilé en Corse, (j’écris bien « exilé ») parce qu’il était un farouche anti-gaulliste !
Vous saupoudrez le tout de surveillants de l’île de beauté, à la mine sombre et fière, et vous aurez une petite idée de notre « arche de Noé » scolaire .
Mais il y avait surtout notre professeur de mathématique, Monsieur Caïn.
Une terreur ! C’est surtout l’impression qu’il nous faisait !
D’une maigreur cadavérique, le visage émacié secoué, de temps à autre, de rictus clownesques, des lunettes corrigeant une forte myopie, il avait tout pour nous inspirer une crainte terrifiante.
S'ajoutait à cela un esprit féroce, à la répartie cinglante et aux anathèmes définitifs sur nos qualités intellectuelles très limitées.
Un jour, un élève plus audacieux ou plus inconscient eut le malheur de provoquer sa colère.
Il s'approcha de lui, et devant la classe médusée, il releva la manche de son veston pour montrer un avant bras décharné. Près de quarante ans après, je revois cette série de chiffres bleus, comme celles que l'on voit parfois sur certain quartier de bœufs dans les boucheries.

_Quand on a vécu çà, ce n'est pas un petit "merdeux" de ton espèce qui va me faire peur!


La sentence définitive foudroya l'indiscipliné pour le reste de l'année scolaire.
Longtemps la crainte panique m'empêcha de le considérer avec sympathie.
Pourtant, quelques années plus tard, les circonstances voulurent que j'eus besoin de lui pour des cours particuliers. Je rencontrais alors un homme doux, charmant, affable, d'une grande délicatesse, et surtout d'une grande bonté et d'un grand respect pour le petit élève timide que j'étais! Merveilleux bonhomme qui hantera toujours mon esprit et mes pensées!
Non! Définitivement, pour moi, Caïn n'a jamais tué Abel!

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