La « volante » n’était que la garde militaire que je dus accomplir pendant mon exotique séjour en Algérie.
Cela consistait à se trimbaler la nuit, sur tout le territoire de notre casernement, une lampe poche à la main, en treillis bien sûr, et « armé » d’un pistolet mitrailleur Mat49 !
Quand j’écris « armé », il faut que je vous fasse une petite digression qui vous expliquera en quoi consistait ce redoutable « armement » !
Comme nous étions sur un territoire étranger depuis 1962, nous n’avions pas le droit d’avoir de munitions.
C'est-à-dire que mon pistolet n’avait pas de chargeur !
J’étais un peu comme un eunuque dans un harem de Bagdad au temps de Shéhérazade !
Je sais que l’image est osée, mais c’est pour mieux vous faire comprendre la situation. Si, par le plus grand des hasards, un abruti de voleur autochtone, un « terroriste » avait eu l’idée complètement démente de nous chercher des noises, je devais dire ceci :
« Halte ! Qui va là ? »
Mais je n’aurais pas pu dire « halte ou je fais feu ! »
Parce qu’il m’aurait fallu alors courir ventre à terre au poste de police.
Là, j’avertissais mon chef de poste, de la situation.
Lui-même dûment informé, devait réveiller l’officier de semaine qui lui, conformément aux instructions, réveillait le colonel commandant la base.
Le colonel n’écoutant que son devoir, téléphonait au centre interarmes de Mers-el-Kébir. Celui-ci, émettait en direction du ministère des armées à Paris, un avis d’alerte afin de prévenir le Ministre!
On réveillait celui-ci, chez lui ou dans le boxon dans lequel il honorait une hétaïre, pour l’informer de la situation.
Avec l’humeur rogne qu’on peut facilement deviner, il réveillait l’ambassadeur algérien de la capitale pour lui demander son avis.
Avis autorisé ou pas qui repartait en sens inverse, avec toutes les étapes déjà précitées !
C’est alors seulement, que le caporal de garde m’ouvrait le coffre dans lequel se trouvaient les précieux chargeurs.
Dûment équipé de ces redoutables munitions, je re-fonçais faire sa fête à l’imprudent qui avait ainsi dérangé tant de monde !
Même quelques neurones se battant en duel dans une cervelle vide suffiraient à comprendre que le « perturbateur » ayant perdu patience, ne m’aurait pas attendu !
Après tout le mal que l’on se serait donné ?
L’ingrat !
C’est vous dire si ces gardes étaient vachement importantes !
Comme toujours, les plus grands dangers viennent souvent de chez vous ou des vôtres!
Car un jour, je vis une énorme boule de poils me foncer de dessus, à la vitesse de l’éclair et dans un silence que même un sourd ne connaît pas !
Deux yeux brillants de sauvagerie me fixaient impitoyablement.
J’esquissais à peine un huitième de tour sur moi, pour fuir !
« NE BOUGE PAS ! SINON IL TE BOUFFE ! »
Cette phrase, hurlée dans le noir eut l’effet escompté !
Même un scorpion dans mon falzar ne m’aurait pas fait bouger d’un millimètre !
Et quand il parlait de « bouffer » le maître chien ne plaisantait pas !
Sa gentille « bébête » était entraînée à tuer !
Plus efficace que les balles « virtuelles » de mon P.M. !
Le « gentil » cador me renifla les pompes pour voir si la viande qui se trouvait à l’intérieur pouvait soutenir la comparaison avec sa délicieuse boite de « canigou » habituelle.
Le test dû être négatif, car il se coucha au pied de son maître et montra une indifférence totale pour notre conversation qui suivit ce moment d’intense émotion !
Donc, après cet incident, comme les bêtes sauvages se dirigent vers leur point d’eau, comme les renards retrouvent leur terrier, comme les vaches leurs étables, je me dirigeais instinctivement vers le bâtiment de ma chambrée.
En passant par derrière, je vis la clarté de la fenêtre grande ouverte, comme à l’habitude pendant ces soirées torrides de l’été africain.
La partie de poker faisait rage !
Le brouillard de la fumée des clopes montrait que les choses étaient entamées depuis déjà pas mal de temps! Un copain m’apercevant, me héla !
_Eh Gilbert ! Un p’tit « poke » ! ça te dit ?
_Tu vois bien que je fais ma ronde !
_Balise pas comme une gonzesse, et fais pas chier ! Viens tout de suite !
« Baliser » en argot de l’époque, signifiait : avoir peur !
Ne me demander pas l’origine ! Je n’en sais rien !
Bon ! L’homme étant faible, je rejoignis mes potes et m’installais à la table, en prenant mes cartes.
Ah ! Quelle belle partie !
Jamais nous n’avions été aussi joyeux, délirants, rigolards et détendus !
Il y avait là mon viking normand et ses fossettes insolentes, mon petit « Astérix breton » et ses yeux pétillant de malice, mon « ch’ti » et sa moustache auréolée de mousse de bière !
Mon bordelais de Bègles, et ses tâches de rousseurs ! Enfin, toute la France profonde !
GILBERT ! QU’EST-CE QUE TU FOUS-LA ?
Je me levais et me retournais brusquement vers la porte, les cartes encore à la main !
Horreur !
Mon chef de poste était là, dans l’encadrement, tel la statue du Commandeur !
Pétrifié de honte que j’étais !
Mais mon calvaire ne faisait que commencer. Je me précipitais vers mon lit où j’avais laissé mon arme !
Aïe ! Aïe ! Aïe ! Ah les salauds ! Ah les vrais fumiers ! Ah les traîtres !
Ces enfoirés de copains
(mais devais-je encore les appeler « copains « ?)
m’avaient entièrement démonté mon pistolet mitrailleur,
dont toutes les pièces étaient admirablement bien rangées sur mes draps blancs !
Déjà, remonter un pistolet mitrailleur ce n’est pas coton, surtout quand on n’en a pas l’habitude, mais se farcir le feu nourri des « joyeusetés », des conseils « amicaux » d’un sergent furibard, je vous jure que c’est un grand moment de solitude !
Une semaine d’arrêt de rigueur !
Et à ramasser les poubelles, tous les matins, avec le camion benne !
C’est pourquoi, même aujourd’hui, quand je suis réveillé sauvagement par le ramassage des ordures, à des heures pas chrétiennes, j’ai quand même une pensée amicale pour les ouvriers qui font ce difficile boulot, et même sans être punis, eux !
Quand je pense que j’avais un full par les as ! Je n’ai jamais eu de pot au jeu !
Mais le plus triste, le plus navrant, c’est de savoir que mes pauvres enfants ne connaîtront Jamais ces moments d’intenses « camaraderies », ces émotions « viriles »,
ces situations « géniales » que des médisants croient « ubuesques » mais qui nous permettent d’avoir de si beaux souvenirs de nos services militaires d’autrefois !