_N°20! Vous allez en « delta 15 » sur le vol « Pan Am 118 » en « H moins dix » à l'arrivée!
Sur le côté du bureau trône une « bizarrerie », une chose
« antédiluvienne » nommée « Teleautograh »
d'où sort un rouleau de papier. Sur ce ruban blanc s'agitent deux bras en alu emprisonnant un stylo qui m'écrit les informations nécessaires à ma mission. Il s'agit du numéro de vol de l'avion qui vient de se poser et surtout de son numéro de parking que mes potes du PCR lui ont attribué. Le PCR, c'est la tour carrée, flanquée d'une horloge, faisant face à l'aérogare et que vous apercevrez peut-être quand vous serez dans le grand hall vitré, au premier étage, et que vous daignerez regarder dehors, en direction des pistes d'envol. Dans ce bocal perché à 15 m bossent nuit et jour, mes collègues dont la mission est d'attribuer une place à nos gros oiseaux mécaniques.
Mais j'aurai l'occasion de vous en reparler un autre jour, car j'ai aussi « sévi » dans cet aquarium infernal.
Oui! C'est bien moi! Et la régulation cars, vous l'apercevez derrière moi, à l'extérieur! Mesdames! Ne fantasmez pas! Je ne ressemble plus à ça, du tout, depuis longtemps! la photo est prise de la vigie du PCR!
Pour les départs, de charmantes hôtesses, à la voix «bandante à souhait », me passent la « commande » par « bigophone ». J'ai alors, à ma disposition, un écran de télévision sur lequel je peux voir la rangée des fameux « strips » qui me donnent le numéro de parking de l'avion. Le « strip » dans le jargon de la navigation aérienne, est un long ruban de papier, sur lequel se trouvent toutes les informations importantes concernant un avion en vol, et le plus souvent, disposé sur une réglette en plastique. Par extension, et surtout par snobisme, nous en avons récupéré le terme. C'est vous dire la « modernité » de nos moyens de communications! Quant à mes « boys band motorisés » Si une grande partie de ceux-ci se trimbalent sur les aires de parking, l'autre patiente près de moi, dans une pièce qui ressemble à une salle d'attente de chez le dentiste. Nous sommes séparés par une vitre et un guichet de postier par lequel je leur file leur ordre de mission.
Il y a plus de « Mohamed », « d'Ibrahim », « d'Abdalah », « d'Antonio »,
Mon estomac proteste comme un chat qui réclame sa pâtée. Cela tombe bien, mon collègue revient de la cantine pour me relever. Je lui file les consignes et les vols en cours, puis je mets ma belle veste bleu-roi dont le bas des manches est orné de deux beaux galons dorés, me donnant l'allure d'un lieutenant de l'Armée de l'Air! Mais avec ma belle « gâpette » flanquée au centre d'un magnifique blason cousu de fils d'or, j'ai plutôt l'air d'un pilote de ligne! Mais « l'air seulement »! Je vous rassure!
Je sors donc du bâtiment « 401 » (c'est son matricule) et je m'engage sur la piste tracée à la peinture, à même le sol, qui mène au bâtiment principal. Cette « voie » est le chemin obligatoire par lequel passent les employés et les différents véhicules de service. Je traverse d'un pas serein, en rêvassant comme à mon habitude. Mais au milieu du passage, j'ai sur ma droite, à une distance d'à peine une dizaine de mètres, un bon gros Boeing 707 de la PIA (compagnie aérienne pakistanaise) qui vient de terminer son « push-back » et qui me brise les oreilles du sifflement de ses quatre réacteurs tournant pourtant au ralenti.
Le « push-back » est l'opération qui consiste à repousser un avion au moyen d'un tracteur de piste, petit mais « mahousse costaud », pour mettre le gros « zoisiau » en position de roulage. Car ce brave appareil ne peut pas reculer tout seul. Pour l'anecdote, sachez qu'autrefois (et je l'ai connu!) les avions étaient positionnés
Ils pouvaient donc partir tous seuls comme des grands. Le seul très léger « inconvénient » était que pour s' élancer, ils devaient mettre les réacteurs à fond, pour vaincre l'inertie. Ce qui occasionnait pour le moins grave, un surplus de
Je retraverse la piste. Et là, m'attend une surprise de taille!
Mon « Boinge » est toujours là! Il n'y a plus de tracteur de piste. Il est donc prêt à partir. Mais il ne bouge toujours pas! Oh!Oh! Est-ce le même appareil? C'est plutôt étrange!
Aurais-je loupé une « rotation »? Oui! Car un autre appareil est peut-être venu prendre sa place entretemps! Et nos « rotations », surtout au contact, peuvent ne durer que quarante minutes parfois!
Et ben non! C'est bien le même 707 de la PIA! Mais qu'est-ce qu'il fout là? Un problème technique? La navigation aérienne lui a repoussé son plan de vol? Encore plongé dans mes interrogations, je franchis la porte de la régulation cars! Et là, mon collègue me saute sur le paletot comme un furieux, en ne me laissant même pas le temps d'arriver!
_Gilbert! Gilbert! Tu sais pas ce qui se passe sur le 707 ?
_Ben non! Fais-je lamentablement!
_Y a des pirates de l'air dans le poste de pilotage!
_Non? Tu plaisantes?
_Si! Si! Je t'assure!
Je prends conscience que je viens de passer à quelques mètres d'un drame dont je n'ai même pas soupçonné une seconde, la tragique réalité!
Mais le plus « inouï », et je suis sûr que vous l'avez noté comme moi, c'est qu'aucune force de police, qu'aucun membre du GIGN (qui n'existait pas à l'époque) ne m'a empêché de traverser les pistes! Je suis passé tranquillement, comme Baptiste, sous le nez des preneurs d'otages.
Je me demande même ce qu'ils ont dû penser en me voyant traverser en uniforme. Mais pas un gendarme, pas un flic à l'horizon! Je n'ose pas imaginer la même situation à notre époque.
Et pourtant, je vous garantis l'authenticité de cette histoire.
Je n'ai pas besoin de vous dire qu'on « zieutait » ferme, à travers la baie vitrée, pour voir ce qui se passait, là-haut, dans la cabine. A vrai dire! Pas grand chose! Désolant d'ennui, ces longues minutes d'attente! Mais le plus frustrant, c'est que ma vacation se terminait à quinze heures, et la prise d'otages n'était toujours pas terminée! Que pensez-vous qu'il arriva? Ben rien! J'ai retraversé tranquillement la piste, toujours sous le nez de mon « boinge » piraté. Il n'y avait pas de raison de se priver, puisque personne ne m'en empêchait! Vous pensez que j'ai eu peur? Même pas!
Vous pensez que je suis courageux? Même pas! Car je n'ai pas envisagé une fraction de seconde qu'ils puissent me tirer dessus! C'est donc tout banalement, de chez moi, dans mon petit studio, à la télé que j'ai appris, non seulement la fin de la tragédie, mais tous les détails de cette histoire rocambolesque. Déjà, il n'y avait pas plusieurs pirates, mais un seul! Oh! Mince alors! Cela diminuait terriblement la valeur de mes « exploits ». Et ce « pedzouille » de pirate n'était qu'un vulgaire petit français, la main sur le cœur, qui avait fait tout ce cirque pour que l'on donne des « médicaments » au Bangladesh! Ah! je vous jure! Quelle déception! On était très loin de nos affreux terroristes islamistes qui détournent des avions pour les balancer sur des tours!
M'enfin! Comme le soupir de Gaston Lagaffe! Ça fait quand même des souvenirs à raconter aux (futurs) petits enfants!
Le fin mot de l'histoire c'est que « mon » pirate généreux s'appelait Jean Kay, et qu'il fut défendu à son procès par un grand personnage, ancien ministre du général De Gaulle, qui se nommait André Malraux! Tout de même!
Si vous voulez en savoir plus, je vous donne le lien sur Wikipédia qui vous en dira plus.
Et cela se passait exactement le 3 décembre 1971.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Kay