samedi 11 juillet 2009

Encore heureux qu’il ait fait beau… !

Tout le monde a oublié ce petit chef d’œuvre impérissable de la chanson populaire française, chanté par les « Frères Jacques » ; La Marie-Josèphe . Et je ne vous parle pas des moins de trente ans qui en ont sûrement jamais entendu parler.

Encore heureux qu'il ait fait beau
Et qu'la Marie-Joseph soit un bon bateau

Encore heureux qu'il ait fait beau

Et qu'la Marie-Joseph soit un bon bateau

Il ne s’agit pas, ici, de raconter des aventures maritimes, mais des frayeurs montagneuses et un tantinet alpestres qui me sont arrivées du temps de ma « folle » jeunesse. Car l’ironie qui perce sous les couplets de cette joyeuse chanson vise l’incroyable et l’éternelle inconscience des quidams imprudents. Qu’ils soient pseudo marins, apprentis pilote de course, faux alpinistes ou randonneurs amateurs, ne change rien à l’affaire ! Il y a toujours des abrutis, de par le monde, dont l’autosatisfaction inébranlable les croit voués à commettre les pires imprudences, sous le prétexte fallacieux de se prendre pour des aventuriers invincibles !

Ce que résumait, avec son esprit acide et féroce, Michel Audiard, quand il faisait dire à Lino Ventura, dans les « Tontons flingueurs » :

« Les cons, ça ose tout ! C’est même à ça qu’on les reconnaît ! »

Remarquez bien que ceux qui n’osent jamais rien ne sont pas plus futés ! Il ne faut quand même pas charrier. Moi, j’ai toujours balancé entre les deux. C’est ainsi que tous les ans, au début du mois de juin, un groupe de collègue de travail, partait « Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal » vers les cimes lointaines du sommet des Alpes.

Tout ça pour jouer les sportifs et s’aérer les bronches encrassées par le kérosène des avions.

J’ai donc fait, trois années de suite, le tour du massif du Mont Blanc. Tour que nous faisions en une semaine environ.

Je ne vais pas vous raconter chronologiquement ces trois randonnées annuelles, ce qui serait fastidieux et rasoir, mais seulement quelques moments impérissables dans ma mémoire et qui je crois, valent le coup d’être narré, non pas tant pour ma progéniture qui s’en fout comme de sa première couche culotte, que pour mes descendants lointains, qui trouveront là, sinon matière à réflexion, du moins, à belles rigolades en famille.

Après une nuit de conduite automobile, nous arrivions harassés à la petite station : « les Contamines Montjoie » près de Chamonix. Et nous partions dans la foulée ! Ce qui, vous l’avouerez, était déjà d’une folle prudence. Ah ! Mais on ne perd pas de temps quand on est jeune ! Quitte à prendre le temps de l’éternité, parfois.

Déjà les équipements. Et il y a de quoi raconter. Moi, très prosaïquement et naïvement, j’étais toujours en jeans et rangers. J’avais un sac à dos qui avait dû faire la guerre dans les maquis du Vercors, avec la belle grosse armature métallique des familles et les bretelles en bon cuir de vache. Très retro, très kitch, le gars. C’est vous dire si je me sentais gêné de voir mes potes, devant moi, en baskets et short très court ! J’avais vraiment l’air d’un bouseux, à côté d’eux ! Ils bondissaient comme des cabris, heureux, joyeux, toujours en pleine forme, laissant derrière eux l’éternelle tortue râleuse et qui soufflait toujours comme une machine à café entartrée. Les chemins étaient bien tracés, vu les milliers de croquenots, et pompes de toutes sortes qui les écrasaient tous les ans, à la même époque. Nous suivions sagement les signes du GR rouge et blanc, comme il se doit. Et comme de bien entendu, mes compagnons ignoraient tout de la cartographie et de la topographie. Lire une carte, consulter la météo, orienter une boussole était pour eux une perte de temps réservée à des péquenots trouillards.

Pourtant, un jour, la nature espiègle se vengea bien de leur mépris. Nous montions tranquillement depuis le matin vers le col de la Seigne quand un brouillard épais nous tomba dessus sans prévenir. Le chemin restait bien tracé, mais à certains endroits, il n’était plus aussi précis. Les marques du GR n’étaient plus repérables de loin. Il fallait vraiment tomber dessus, à cinquante centimètres sous notre blase pour les voir. Inutile de vous dire que dans ce paysage cotonneux et gris, nous enveloppant de partout, la panique commença à s’instaurer au sein du groupe. On gravissait à l’aveuglette des pentes de plus en plus vertigineuses qui se terminaient en paroi verticale infranchissable. On redescendait tout penauds, en n’étant pas sûr d’être revenu à notre point de départ. Il fallut se rendre à l’évidence ; nous étions complètement paumés ! Quand la peur s’installe, les engueulades, les vociférations hystériques ne sont pas loin. Pourtant, au beau milieu de notre meeting politique orageux, quelqu’un parmi nous s’exclama :

-Mais taisez-vous bordel ! J’entends des voix !

Effectivement, comme des fantômes sortant d’un cimetière, dans un film d’épouvante de cinquième catégorie, une joyeuse troupe, en file indienne, déboucha sur notre petit groupe.

Mais alors là….Mais alors là ! Que je vous explique le topo. Pas des rigolos, eux !

Tous en pantalon de grosse laine, rangers, guêtres, chapeaux à large bord, piolets, cordes de varappe, sacs à dos dernier cri etc… Pour le coup, c’était nous qui avions l’air de gosses échappés d’une colo.

Celui qui semblait être le chef du groupe nous apostropha, un rien goguenard :

-Alors on est paumé les gars ?

-Ben ! Pas tout à fait ! On faisait une petite pose avant de s’y remettre.

Ah ! Ce que l’orgueil ne fait pas dire comme c… bêtises !

-Bah ! J’vas quand même vous dire où vous êtes !

Et de nous sortir une carte d’état-major, une boussole grosse comme un gyroscope de sous-marin et….Wouah ! Un altimètre ! Je vis alors des quinquets s’ouvrir comme des portes cochères parmi mes compagnons. Eux qui pensaient que les altimètres, ça ne se rencontrait quand dans les cockpits d’avion. Normal, quand on travaille dans un aéroport.

Bon prince, notre « Moïse » des montagnes nous proposa de le suive, lui et sa troupe, un bout de chemin, histoire que l’on retrouve nos marques. Sympa non ?

Et bien croyez-le si vous voulez, mais mes abrutis de compagnons ont tous refusé.

Il y en a qu’un qui a osé timidement élevé la voix pour dire :

-Ce serait quand même plus prudent de les suivre un bout de chemin.

-Non ! T’inquiètes pas. On n’a pas besoin d’eux. On va se débrouiller !

Quand je vis le dernier scout s’enfoncer dans la brume, je commis là un acte dont j’ai encore honte aujourd’hui ! Je plaquais lâchement mes potes pour suivre les…professionnels !

Que voulez-vous ! L’instinct de survie, ça ne se commande pas !

J’ai donc suivi mes sauveteurs pendant un bon moment. Juste le temps pour que le brouillard se dissipe et que la vue du paysage nous soit rendue. Là, pris de remord, je me suis retourné, et aidé par mes nouveaux compagnons, nous avons crié à perdre haleine pour faire connaître notre position. Plus le temps passait, plus j’avais honte. Dire que je les avais abandonnés, les pauvres ! Au bout d’une bonne heure, je vis enfin l’un deux arriver du fond de la brume.

Puis tout notre petit groupe. A leur visage fermé, et au regard sombre qu’ils me jetèrent en passant près de moi, je compris à quel point ils étaient fatigués par leur aventure.

Mais était-ce vraiment de la fatigue ?


A suivre.






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