Vous aurez remarqué toute de suite,
j'en suis sûr, l'espièglerie littéraire habituelle qui consiste à
détourner le titre d'un film célèbre d'Yves Boisset:
« Espion, lève-toi ». Vous finirez par comprendre le
« pourquoi » de la chose, si vous avez le courage ou
l'amitié de suivre mon récit jusqu'au bout ! Ne me dîtes pas
non plus, que vous n'avez jamais vu le film « La totale »
où l'on voit un faux ingénieur des Télécoms, sous les traits de
Thierry Lhermite, tromper « professionnellement » sa
pauvre épouse jouée par Miou-miou. Celle-ci ne se doutant pas une
seconde des activités d'espionnage de son mari au service de la
France ! Petit film sympa que nos charmants camarades amerloques
nous ont honteusement pillé, en en faisant une grosse machinerie
hollywoodienne : « True Lies » avec Schwarzenegger
et Jamie Lee Lewis. Dès qu'on a un scénario original, il faut
immédiatement que ces « sauvages » nous le piquent !
Je ne dis pas que le film n'est pas une réussite méritée, mais
quand même ! Vous vous demandez pourquoi je fais cette
« intro » aussi tonitruante dans le monde de
l'espionnage. C'est simple ; j'ai vécu, moi aussi, à mon
modeste échelon, un peu de cette aventure à la « true lies »
dans la grande entreprise aéronautique dans laquelle j'ai « sévis »
pendant plus de trente ans. Est-ce dans mes gènes ou un penchant, au
fond, assez commun, mais j'ai toujours été fasciné par le
monde du renseignement et des espions. Je tiens peut-être aussi cela
d'une grand-mère paternelle, s'ennuyant ferme dans ses Ardennes,
qu'avait fui Rimbaud, un siècle auparavant pour les mêmes raisons,
et qui collectionnait « religieusement » la célébrissime
revue criminelle : « Détective » ! Revues qui
s’amoncelaient dans le grenier de sa maison et que je parcourais
pendant les journées pluvieuses des vacances de mon enfance. Comme
le disait, d'une manière si charmante, Raymond Devos, dans un de ses
sketchs célèbres, à propos de Saint-Simon ; ma chère
« Mémère » avait
la mémoire en trou de serrure et
se passionnait pour toutes les affaires criminelles de son
époque.Pour ajouter du « charme » à cette « tare »
familiale, j'ai eu aussi, un grand oncle, toujours du côté
paternel, qui m'avoua un jour, avoir fait partie de la DST à son
origine. Il se vantait même, d'avoir eu pour mission d'ouvrir
secrètement, à la vapeur, des courriers dangereux. Jetons un voile
pudique sur ces confidences un peu suspectes car je les soupçonne
fort d'avoir été inventées pour éblouir un garçonnet trop
crédule ! Mais revenons, s'il vous plaît, à ma grande société
aéronautique où je débarquais au début des années 70. Émerveillé
par ce monde de l'aviation qui me passionnait, et qui me passionne
toujours, je ne m'étais pas du tout rendu compte qu'elle pouvait
abriter un véritable nid d'espions que l'on nomme parfois d'une
manière élégante et un peu snob : « honorables
correspondants » ! J'aurais dû pourtant m'en apercevoir
assez rapidement à cause d'un incident survenu quelques années
après mon embauche, quand je passais de mon service opérationnel
sur les pistes, à celui, très nouveau et fascinant de
l'informatique dans les sous-sols de l'aérogare d'Orly-Sud. J'avais
là de nouveaux collègues, des supérieurs et un chef de service qui
fleurait bon la Bretagne et les embruns, très sympathique avec sa
tête ronde sortie tout droit du pays bigouden ! C'est à cette
époque que survint une surprise, un tantinet désagréable, et qui
me tomba sur le paletot sans crier gare ; j'étais convoqué par
l'armée pour faire une période militaire de trois jours ! Plus
de trois ans après la fin de mon service ! J'en avais plutôt
gros sur la « patate » ! Non mais imaginez un peu ?
Vous croyez en avoir fini avec l'armée, que c'est un souvenir qui
s'estompe, et poum ! On vient vous cueillir pour recommencer le
cirque militaire ! Et pas moyen d'y échapper !
Sinon, vous êtes considéré comme
« déserteur » et les gendarmes partent illico à votre
recherche.
Le copain qui a fait ses trois jours
avec moi, les gendarmes sont allés le chercher aux Pays-Bas, à
Amsterdam, où il était commercial pour une société !
Raccompagné en train, entre deux gendarmes !
Mais vous allez voir le plus étrange ;
c'est que la « réserve » comme on l'appelle, et qui peut
sembler nécessaire pour certaines fonctions délicates qui exigent
un entraînement périodique, ne concernent quasiment que des
officiers, ou des sous-officiers, à l'extrême rigueur. Jamais des
« deuxièmes pompes » comme moi ! Et ben si !
Moi qui ne gagne jamais au loto, au
tiercé, parce que je n'y joue jamais, là, j'avais décroché la
timbale ! Moi, simple soldat, simple troufion, l'armée
jugeait ma présence indispensable !
Et pas n'importe où, s'il vous
plaît ! Dans l'endroit le plus secret, le plus gardé, le plus
mystérieux de l'époque ; le PC atomique souterrain de la base
de Taverny, au nord de Paris.
Je vous rassure tout de suite ;
cette base n'existe plus et ses missions ont été transférées, si
je suis bien au courant, du côté de Lyon. Donc, il y a
prescription, et je peux en « causer » librement !
Alors, voilà-t-y pas que je débarque
dans cette base, un lundi matin, en civil, bien entendu !
Ils n'ont pas poussé le vice jusqu'à
nous rhabiller en militaires ! Un sergent m'emmène dans sa
« jeep » à l'intérieur de cette caverne monumentale. Ce
qui m'amuse, c'est que les « jamesbonderies » que j'ai vu
au cinéma ne m'impressionnent plus du tout, à côté de ce que j'ai
aperçu durant mes pérégrinations militaires. On croit que c'est
une banalité de dire que la réalité dépasse la fiction ; ce
n'est pas une banalité, et la fiction est toujours enfoncée!
Au bout d'un voyage interminable,
passant de lourdes portes blindées, nous arrivons dans d'immenses
salles de contrôles avec les cartes partout sur les murs, des
consoles radars aussi nombreuses que dans une laverie automatique de
la banlieue. Je me remets un peu de ma surprise. J'ai la tête qui me
tourne. Je suis ébloui par tout ce qui m'entoure. Je suis encore
dans cette disposition mentale lorsqu'une porte s'ouvre sur un type
en uniforme de capitaine de l'armée de l'Air. Et là ! Oh
stupeur ! Mon chef de service d'Orly ! On reste tous les
deux pétrifiés par la surprise !
_Vous ? Mais qu'est-ce que vous
foutez là ? Me demande-t-il avec un grand sourire !
_Et vous ? Monsi.....Pardon !
Mon capitaine !
Je ne vous parlerai pas de ce que j'y
ai fait. Déjà, parce que j'en ai la flemme, et parce que cela ne
vous passionnerait probablement pas ! Le seul petit détail
cocasse que je puis révéler et qui m'a beaucoup amusé, c'est que
j'avais devant moi un panneau avec un tas de bouton rouge sous
lesquels on pouvait lire des lieux précis, des endroits de Paris et
de toute la région parisienne. C'étaient les boutons de commandes
de toutes les grosses sirènes d' alerte qui sonnent une fois
par mois à midi !
Ah ! Je vous vois venir ! Moi
aussi, ça m'a démangé ! Mais je ne suis pas sûr que cela
aurait été très apprécié par les « huiles » en
uniformes autour de moi, et cela aurait eu pour conséquence de
prolonger un séjour que je voulais plutôt écourter ! De
retour à mon boulot d'informaticien, à Orly, je croisais souvent
mon « capitaine » et nous avions un sourire de connivence
comme ceux qui partagent un secret bien gardé. Ce qui m'étonnait
aussi, c'était ses très nombreux voyages à l'étranger. Il se
vanta même, un jour, de revenir de Chine ! Et croyez-moi, à
l'époque, ce n'est pas aussi courant qu'aujourd'hui ! La partie
de « ping-pong » sino-américaine qui scellait
l'ouverture politique de ce pays était encore très récente. Mais
je n'en saurais pas plus ! Il est même fort probable que je
fantasme gravement sur une activité qui n'a jamais eu lieu. Et s'il
l'apprenait, il serait sûrement le premier à se taper sur les
cuisses de rigolade. Comme je vous l'ai déjà signalé, je me suis
passionné depuis toujours pour le monde du renseignement. Mais le
« vrai » ! Pas celui du cinéma ou de la littéraire.
Bien que dans ce dernier domaine, celui qui s'en approche le plus est
John LeCarré ! Forcément, il fut lui même un « honorable
correspondant ». Voilà pourquoi je collectionne depuis
longtemps certaines biographies intéressantes : William Colby,
Vernon Walters, De Marenches, Roger Wybot, Leroy-Finville, Barril,
ect...Rassurez-vous, je ne suis nullement dupe de la sincérité, un
tantinet frelatée, de ces spécialistes du mensonge. Vous pensez
bien, que ce qu'ils daignent nous raconter, est aussi insipide et
délavé qu'un roast-beef anglais bouilli dans une sauce à la
menthe ! C'est un joyeux « brouet » ou chaque mot
est pesé pour ne pas révélé des secrets que le simple quidam ne
doit jamais savoir ! Ce fut surtout vrai pour William Colby,
ancien directeur de la CIA dont j'avais acheté et dévoré le livre.
J'ai revu, très récemment, et par le plus grand des hasards, un
documentaire télé qui lui était consacré. C'est ainsi que j'ai
découvert (mais pouvait-il en être autrement) que ce cher
« William » avait omis de nous raconter beaucoup de
choses sur ses activités, notamment au Vietnam, et qui ne se
trouvaient pas dans son bouquin. Malgré tout, je ne pouvais résister
à mon petit « péché » mignon ! Dans ces montagnes
de mensonges, il y avait peut-être une miette de vérité qui
pouvait m'intéresser ? Allez savoir ? C'est ainsi que je
fis l'acquisition du livre des mémoires d'Alexandre de Marenches,
ancien patron de la DGSE dont le nom fleure bon la vieillesse
noblesse française. Il est d'ailleurs assez cocasse de constater que
nos « ci-devants » ont bien su, depuis cette dramatique
époque révolutionnaire, se reclasser dans des postes prestigieux
dignes de leur ancien rang : diplomatie, industries, politique,
ect... « Chassez le naturel... ». Donc, je parcours
son livre et soudain, je tombe sur un autre nom à particule !
Mais sur celui-ci, je vais rester discret. Car il me dit
« vachement » quelque chose, celui-là ! Je le
croise tous les jours au boulot ! D'accord ! Un nom ne veut
rien dire ! Il y a plus d'un âne qui s'appelle Martin me
rappelleront certains, d'une manière très vulgaire et déplacée.
Mais le mien « d'âne » ne s'appelle pas Martin et son
patronyme n'est pas courant, et surtout qu'il porte le nom d'un
patelin de la région ! Il est le commercial (qu'est-ce que je
vous écrivais plus haut?) d'une grosse société d'informatique,
dont je tairais aussi le nom. Sa qualité professionnelle l'amène
très fréquemment chez nous pour des contrats pharaoniques de
matériels informatiques dernier cri. Et tout le monde sait que dans
ce domaine, la valse des nouveautés n'a pas fini de tourner, même à
notre époque.
Oh punaise ! Ce serait quand
même....extraordinaire ? Non ! Je rêve ! Je
fantasme ! Je vais me réveiller ! A chaque fois que je
croise dans les couloirs ce monsieur très chic, très « vieille
France », sa silhouette mince, « passe-partout, avec son
costume gris clair et son gilet assorti, mon cœur rate un battement
et il me brûle de l'apostropher.
Et puis un jour, sans crier gare, sans
l'avoir voulu, Ô miracle ! Une occasion inespérée se
présente.
Notre service, comme tout bon service
informatique, possède un vaste atelier de reprographie où l'on fait
force photocopies où l'on conditionne les listings sortis tout frais
des imprimantes de nos gros ordinateurs, et où on va même jusqu'au
massicotage et à la reliure de brochures diverses !
J'entre donc dans l'atelier pour une
vulgaire petite photocopie. Dans la salle désertée pour cause de
repas j'aperçois mon homme, seul, devant la photocopieuse. Alors là,
c'est le moment ou jamais ! Je m'approche timidement de lui, et
je lui sors tout de go :
_Pardon Monsieur de.... vous n'auriez
pas un parent à la DGSE, des fois ? Oui, je sais ! Il faut
être gonflé, inconscient, mal poli, indiscret, imprudent, et bien
des choses pour avoir ce culot !
Mais que voulez-vous, ma curiosité et
ma soif de connaissances ont toujours été chez moi, une maladie
« orpheline » contre laquelle je n'ai jamais pu lutter
victorieusement.
Et là, je vois mon homme faire le
regard circulaire classique, que l'on voit dans tous les bons polars,
dans tous les bons films d'espionnage, ou « l'indic » qui
s'apprête à donner un renseignement capital, fait vachement gaffe
pour savoir si personne d'autre ne vas écouter sa confidence. Il se
penche vers moi, et me fait dans un murmure de connivence :
_Vous êtes de la « Maison » ?
Oh purée ! Le choc !
J'aurais reçu une décharge électrique de cent mille volts que je
n'aurais pas été plus secoué ! Car ce terme de « maison »
distillé comme un mot de passe convenu entre gens du même « club
privé » me faisait comprendre que j'avais visé juste.
_N...on ! Non !
Bredouillais-je très rapidement et lamentablement. Et je m'empresse
de lui expliquer le « pourquoi » de ma curiosité. Il se
fend d'un large sourire, et me fait cette confidence qui ne me
rassure pas du tout.
_Non, il s'agit de mon frère qui est
le directeur du service « action » !
Hou ! La ! La ! Je me
recroqueville mentalement de plus en plus ! Je serre les fesses
beaucoup plus concrètement et je pense en mon for intérieur ;
« mais qu'est-ce qui m'a pris de me mêler de ce qui ne me
regardait pas ? ». Pourtant, mon interlocuteur, très
affable et qui ne semble pas du tout gêné par mon indiscrétion, me
fait l'insigne honneur de discuter le « bout de gras »
sur cette « maison » qui semble fortement être aussi la
sienne.
Étonnant non ? Et pourtant,
parfaitement authentique. Je vous le jure ! Je me suis quand
même retiré sur la pointe des pieds, les muscles fessiers toujours
bloqués, en faisant une petite prière pour que mon interlocuteur
éphémère n'aille pas raconter cette petite entrevue à son
frangin. Dans ces milieux là, on ne sait jamais ce qui peut leur
passer par la tête. Dieu merci, je suis toujours vivant ! Car
je suppose que nous n'avons pas dû échanger des secrets vitaux pour
la sauvegarde de la nation française. Ceci vous explique que mon
milieu professionnel était quand même bien exposé à ce genre
d'activités plus ou moins louches. Je me souviens aussi, quasiment à
la même époque, d'un de nos chefs de service au profil plutôt
bizarre. Déjà, c'était un ancien colonel de parachutiste. Si !
Si ! J'écris bien « colonel de paras » ! Ce
qui ne l'empêchait pas d'être à la tête d'un service
informatique. Il avait gardé de son ancienne activité militaire des
réflexes et des tics assez « folkloriques ».
C'est ainsi que dans nos réunions
hebdomadaires, il ne manquait, pour rappeler l'armée, que les
casques lourds, les treillis et les cartes d'état-majors. Cela
ressemblait plus à un briefing avant une action militaire qu'à une
réunion de travail sur nos problèmes informatiques. Et nous
attendions tous, avec gourmandise, la dernière et immuable phrase,
de notre « chef de bataillon » en guise de conclusion :
Bon !
J'espère que tout le monde à les couilles claires ?
Et
là, de nous esclaffer grassement et hypocritement comme tous les
bons fayots d'employés vis-à-vis d'un supérieur.
Jusqu'au jour où il s'aperçut que
parmi tous les mâles qui constituaient habituellement nos réunions
se trouvait, pour la première fois, une représentante du sexe
féminin. C'est bien la seule fois où nous l'avons vu rougir
jusqu'aux oreilles en se fendant de plates excuses auprès de cette
dame qui prit la chose avec beaucoup de joie comme vous pouvez vous
en douter !
Que notre chef fut un ancien militaire,
en soi, cela ne prêtait pas à fantasmer sur d'autres activités
plus ou moins irrégulières, mais, mais, mais..ce que j'appris par
les confidences d'un collègue était beaucoup plus suspect.
Celui-ci était vaguemestre et
s'occupait du courrier interne de l'entreprise. C'est ainsi qu'il
m'apprit que notre brave colonel l'envoyait souvent porter des
lettres confidentielles dans divers ministères stratégiques de la
république. Et qu'on aille pas me dire que cela concernait
exclusivement « l'informatique » ! Ah ! Il s'en
passe des « choses » sur nos belles plate-formes
aéronautiques.
Ce qui est tout à fait logique quand
on sait qu'elles sont ouvertes sur le vaste monde et que tant de
monde s'y croise !
Pour conclure, si vous pensez que tout
ceci sort de l'imagination débridée et irresponsable d'un romancier
raté en peine d'attention, vous aurez raison ! Je ne tiens pas
à avoir d'ennuis avec la....
« maison » !
Et l'espion très.... amateur que je
suis, n'a plus qu'à aller se.....coucher !