jeudi 23 avril 2009

L’ambulance et le fourgon

Tû-dû-dût ! Tû-dû-dût ! Tû-dû-dût !

A l’arrière du « J7 » Peugeot, notre ambulance de la Croix Rouge Française, nous sommes ballotés comme dans une chaloupe de sauvetage, un soir de tempête dans la mer du Nord.
On s’accroche où on peut, en attendant que « l’orage passe » !
Nous venons d’être appelé de toute urgence par radio, par notre central opérationnel situé au sein même des bâtiments de la préfecture de Nanterre.
Notre chauffeur s’arrache les cheveux à trouver l’adresse de notre intervention.
A l’époque, au milieu des années soixante dix, il n’est pas question d’être aidé par un GPS, et le labyrinthe des rues de la banlieue parisienne est un vrai cauchemar pour automobiliste égaré.
Enfin, dans un grand crissement sauvage des pneus, nous sommes d’abord écrasés les uns sur les autres, puis nous jaillissons dehors, heureux de sortir de cette « essoreuse » infernale !
La rue est étroite. Des badauds nous signalent tout de suite une petite échoppe dont j’ai même oublié ce qu’elle pouvait bien vendre.
Je suis surtout saisi d’émotion par la vue du corps d’un homme, étendu sur le ventre à même le sol, dans cette minuscule boutique.
Tout de suite, nous amenons le brancard, et avec des gestes d’infinie précaution, comme on nous l’a appris dans nos cours de secourisme, nous posons l’individu dessus.
Il est inconscient. Ses vêtements sont pauvres et usés. Il est entre deux âges. Plus proche de la quarantaine que des vingt ans !
On l’examine sommairement. On fait notre rapport médical à qui de droit. Tout se passe normalement et dans un calme très « professionnel ».
C’est au moment de la sortie que les choses se gâtent !
Un tas de ferraille, c'est-à-dire une voiture, est stationné, comme de bien entendu, juste devant la porte du magasin. Le trottoir ne fait même pas cinquante centimètres !
Il n’y a qu’une seule solution ! Pas deux ! Une seule !
Passer le brancard au-dessus de la voiture avec le malade dessus !
Je vous épargne les détails de la manœuvre, mais enfin, au bout d’un moment, nous sommes dans cette situation : Nous formons un pont parfait au-dessus du véhicule.
Un secouriste de chaque côté, les bras tendus au-dessus de sa tête, et le brancard au-dessus du toit de la voiture !
Ah ! Précision intéressante ; le secouriste du côté de la chaussée, c’est moi !
Vous dire que notre position est inconfortable serait faire preuve d’un optimisme irresponsable.
C’est ce moment très précis que choisit le fourgon de « Police secours » pour débarquer en trombe, avec son très bruyant et très sonore : « PIN ! POM ! PIN ! POM !
Toujours très discrète, la famille « Royco ».
Il se produit alors, dans la foulée, un phénomène bizarre, que je qualifierais même de « mystique » !
Tel « Lazare ressuscité du royaume des morts », notre malade se redresse sur un coude et pousse ce cri du cœur, très incongru dans la situation présente :
« Putain ! Mais c’est les poulets ? »
Suivi aussitôt de :
« Descendez-moi ! Descendez-moi ! J’peux pas les voir, ces putains de poulets ! »
Les cris, c’est une chose, mais l’agitation sauvage de la civière au-dessus de nos têtes, c’est pire !

Je ne sais plus par quel miracle notre encombrant paquet est quand même arrivé au sol !
Je ne me souviens que d’une armée de képis autour de nous, tentant de maitriser le forcené.
Celui-ci, d’une ruade de percheron, me balance alors un coup de tatane à décapiter une statue en bronze, juste sur la pointe du menton.
Je me retrouve sur le dos, au milieu de la chaussée, plein de jolies étoiles clignotantes dansant devant les yeux !
Sanglé comme un « jésus de Lyon » (saucisson au goût merveilleux) notre lascar est « enfourné »dans notre ambulance.
Me massant le maxillaire douloureux, je rejoins mes copains à l’intérieur du véhicule.
Par précaution bienveillante, « l’administration » nous octroie la présence d’un jeune flic pour notre protection.
On ne sait jamais !
Et voilà nous voilà partis pour l’hôpital !
Ah ! Cette jolie conversation ! De ma vie, je ne suis pas prêt de l’oublier !
Imaginez un peu, notre jeune et tendre poulet, à peine sorti de sa couveuse, c'est-à-dire de son école de police, du haut de ses vingt balais, s’adressant fort civilement à notre malade !
_Monsieur ! Qu’est-ce qui vous arrive ? Vous avez des problèmes ? Celui-ci, le regard torve, les yeux injectés de sang, l’air furibard :
_Filez-moi un surin, que je le crève, cette charogne de poulet ! On ne peut pas dire que les échanges commençaient sous les meilleurs auspices.
Je surpris même une jeune camarade secouriste, en train de se serrer les lèvres pour ne pas hurler de rire !
Comme si c’était le moment ! Ah ! Je vous jure !
Pourtant, j’en avais connu des moments cocasses, et des « patients » bizarres dans cette même ambulance.
Tenez ! Ce pauvre homme ! Tout petit, tout malingre, que l’on amenait aux urgences pour lui retirer les plombs de fusil de chasse qu’il avait dans le fondement (qui n’était pourtant pas très épais !) et qu’une virago lui avait assaisonné lors d’une énième dispute !
_Mais pourquoi restez-vous avec elle ? Lui avait demandé une secouriste très naïve et très jeune.
_Mais je l’aime ! Quand l’amour résiste aux plombs de chasse, que faire ? Je vous le demande humblement !
Et cette jeune femme qui n’avait qu’une obsession ; qu’on lui file un miroir pour voir si elle n’était pas défigurée !
Il faut dire que lorsqu’on a débarqué chez elle, il flottait dans l’air comme une entêtante odeur de « cochon grillé »
Pour une raison mystérieuse, sa belle coiffure avait flambé entièrement au-dessus de son réchaud à gaz !
Mais non ! Elle n’était pas défigurée ! Elle avait toujours son beau petit minois !
Enfin, ce clochard débonnaire ramassé au coin d’une rue, un soir d’hiver.
Il était très sympa ! Mais il avait au moins dix paires de chaussettes enfilées les unes sur les autres !
Et à chaque fois qu’il en ôtait une, on ouvrait un peu plus la vitre de l’ambulance.
Secourir les gens, oui ! Mourir asphyxié, non !
Pour l’heure, la conversation « urbaine » entre un jeune flic et un patient atrabilaire se poursuivait dans notre véhicule.
_File-moi ton pétard, que je te descende ! Fumier !
_Mais, Monsieur, cela ne sert à rien de vous mettre dans des états pareils !
Et ainsi de suite !
Nous sommes quand même arrivés sans encombre dans l’établissement hospitalier qu’on nous avait désigné.
Notre « patient » qui portait très mal ce qualificatif, était toujours aussi excité, vindicatif et injurieux !
Une accorte infirmière que ses cris n’impressionnaient guère, se pointa avec une seringue hypodermique, et piqua sans complexe le récalcitrant impuissant.
Ceux qui ont vu « 2001 l’Odyssée de l’espace » se souviennent sûrement de la scène où l’astronaute, rescapé des menées criminelles de HAL9000, l’ordinateur assassin, débranche celui-ci, en écoutant son plaidoyer pathétique.
Pour notre homme, ce fut sensiblement la même chose !
Sauf, qu’au bout de quelques secondes, celui-ci se mit à ronfler bruyamment, ce que ne fera jamais un ordinateur, bien sûr !
Mais c’est pas tout !
C’est que pour soigner un individu, même s’il ne le mérite pas, il faut connaître son identité.
La paperasserie ! Tout le monde connaît ce fléau incontournable !
Comme notre malade était plongé dans « les bras de morflée » comme l’aurait dit un certain Alexandre Benoît de ma connaissance, il fallut bien fouiller ses vêtements pour trouver ses papiers.
Pour ça, on laissa faire notre jeune et patient poulet.
Il dénicha donc, sans difficulté, un vieux portefeuille de cuir, tout élimé, et en sortit un papier ressemblant à une carte d’identité.
Je revois encore les deux visages penchés sur le document ; celui du jeune flic, et celui de notre grande cheftaine, grand cheval, vieille fille mais d’une grande générosité.
Et tous deux lisant en chœur :
_Carte d’identité intérieure.
_CARTE D’IDENTITE INTERIEURE ? En se regardant, étonnés !
_Date d’écrou.
_DATE D’ECROU ? De plus en plus interloqués !
_Hou ! Mais attendez ! Je reviens de suite ! Je prends des renseignements !

Fit le jeune fonctionnaire, en se précipitant vers les bureaux, à la recherche d’un téléphone !
Non ! Il n’y avait pas de portable à l’époque !
Il revint cinq minutes plus tard en hurlant :
_C’est un évadé de prison !
_Quoi ? Vous êtes sûr ?
_Oui ! Allez, hop ! Tout de suite, direction le commissariat !
C’est ainsi qu’en une fraction de seconde, une ambulance de la Croix Rouge française fut transformée en « fourgon cellulaire » sur ordre de la force publique !
Je n’oublierai jamais, non plus, notre arrivée dans les sous-sols de ce commissariat où se trouvaient les cellules de garde à vue.
On nous en ouvrit une, et l’on y jeta dedans notre « prisonnier » comme un paquet de linge sale, sans aucune précaution.
Moi qui suis un « sentimental » j’avais encore en mémoire, les gestes délicats que nous avions eu, il n’y avait pas si longtemps, pour déposer un pauvre malade sur cette même civière !
Ah ! Les mystères de la destinée !
Je n’ai jamais su qui était cet homme ! Jamais la presse n’a parlé, à cette époque, d’une évasion ! Un vrai mystère !Pourtant cette histoire est absolue authentique, et une mâchoire douloureuse pendant quinze jour m’a fait comprendre que je ne l’avais pas rêvée !





vendredi 10 avril 2009

Un vent pollueur

Nous sommes tous bouleversés et inquiets par les informations alarmantes et « alarmistes » distillés par les médias et les organismes officiels, en ce qui concerne le réchauffement climatique et ses conséquences.
Il ne vous a pas échappé que la culpabilité de la race humaine y est clairement stigmatisée dans cette affaire !
C’est vrai ! Qui « c’est-y » qui pollue et salit cette belle planète bleue ?
Mais c’est l’homme, ce sagouin ! Pour sûr, Bill!
On n’arrête pas de nous le claironner à longueur de médias, et de journée !
Heureusement, les pouvoirs publics, et le Législateur, dans leur
« infinie sagesse » commencent à réagir fermement contre ces comportements égoïstes et suicidaires des populations.
Une batterie efficace de lois et de décrets commencent à fleurir pour « terrasser »
les gaspilleurs et les pollueurs ! Et c’est très bien !
C’est ainsi que les scientifiques se sont aperçus, avec inquiétude, que les bovins, à cause de leurs flatulences quotidiennes, relâchaient des tonnes de méthane et d’hydrogène sulfuré dans l’atmosphère, participant, ainsi gravement à l’amplification de l’effet de serre, et donc du réchauffement climatique !
Contre ces pauvres bestioles inoffensives, innocentes, et qui nous nourrissent quotidiennement, on ne peut rien faire ! Cela va de soi !
Par contre, les six milliards d’êtres humains qui eux, sans vergogne, se permettent de rejeter leurs déchets gazeux en toute « impunité », la loi peut et doit frapper !
C’est ainsi qu’un décret gouvernemental, bientôt publié au Journal Officiel, autorisera tous les agents de la force publique à verbaliser tout citoyen surpris en train de relâcher dans un lieu public, un gaz malodorant issu de son organisme.
Une amende forfaitaire de vingt à cent trente euros pourra être infligée au contrevenant, en fonction de l’importance du volume du gaz produit et non pas de son effet sonore.
Car l’expérience commune et ancestrale a retenu que ce ne sont pas les plus bruyants qui sont forcément les plus « productifs » !
Certains sont sournois et très odorants ! Ils font des ravages beaucoup plus conséquents.
Quand l’agent verbalisateur ne pourra pas discerner avec certitude l’origine de la fuite gazeuse ( cage d’ascenseur, rame de métro, salle d’attente etc…) il sera autorisé à verbaliser plusieurs personnes à la fois, dans le rayon où l’odeur du délit aura été détecté !
Sans distinction de conditions sociales, de races ou de sexe ! La gente féminine, même par galanterie surannée et obsolète, ne sera pas dispensée de participer à l’effort collectif de lutte contre la pollution !
Il va sans dire que les spectacles musicaux où se produisent des artistes au nom très vulgaire de « pétomane » seront formellement proscrits, même s’ils sont devenus très rares à notre époque.
Dans un souci de confort, de santé et d’hygiène, les cabinets d’aisance devront obligatoirement être munis d’extracteurs munis de filtres adéquats, et seront les seuls endroits autorisés pour l’évacuation des gaz toxiques.
Il faudra s’y faire mes amis !
L’heure est grave, et l’on ne plaisante plus avec des sujets pareils !
C’est la survie de l’humanité tout entière qui est en cause !
Du courage ! Sachons maîtriser nos sphincters pour sauvegarder l’avenir de nos enfants !

PS. Heu! Pour le décret officiel, je pense que c'est encore mon imagination débordante qui me joue des tours!
Mais pour combien de temps?

vendredi 27 mars 2009

L’oiseau du fleuve


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Le garçonnet a les genoux repliés sous le menton. Son père, à côté de lui, surveille un bouchon qui se balance mollement au gré de la respiration calme et paisible du grand fleuve.
Un grand rideau de peupliers majestueux, sur l’autre rive, dissimule à peine, les vastes champs de cette terre agricole, riche et généreuse du sud ouest de la France.
Une brise légère agite le feuillage de ces gardiens sylvestres en un chuchotement discret de vieilles bavardes. Le toussotement asthmatique d’un tracteur, au loin, rompt à peine le charme de cet endroit paradisiaque. C’est le temps merveilleux des vacances. Il fait beau. Il fait chaud. Le ciel est immaculé de nuages. Le couple de pécheurs est niché au milieu d’une verdure foisonnante d’herbes hautes, de ronces et de roseaux. Ils sont assis à même les deux planches soutenues, comme par miracle, par des rondins de bois grossièrement taillés.
Cet embarcadère improvisé supporte aussi les cannes à pêches, le filet à poissons, et la boite à appâts. Les senteurs des plantes couvrent à peine l’odeur âcre et poissonneuse de l’eau du fleuve. Là-bas, dans la ferme aux murs épais de pisé, la grand-mère, assise sur sa chaise, sous le hangar aux tuiles surchauffées, déplume consciencieusement un canard pour le repas du soir. L’enfant se met à bailler. La pêche, c’est bien, mais cela ne remplace pas une balade en vélo à travers les champs de tabac et de maïs sur les chemins poussiéreux de la campagne vallonnée du Lot et Garonne. Le père, lui, est tout à sa passion redoutable. Il s’agit de la capture d’une bestiole qui le nargue depuis des années ;
 la carpe !
Animal ombrageux et retors qui lui a cassé maintes lignes, et qui l’a même jeté dans le fleuve, un jour d’orage ! C’est vous dire, si entre les deux, c’est une lutte à mort ! Pour l’instant, c’est la « paix armée » ! Qui peut s’imaginer, qu’un endroit aussi paisible, a été le témoin, quelques années auparavant, d’un drame singulier.

Cela se situe pendant l’occupation allemande. A quelques mètres de l’endroit où mon père surveille sa carpe, un homme entre deux âges, pêche lui aussi, paisiblement. Il est le maire d’un petit village des environs. Comme des millions de ses compatriotes, il n’est  pas un héros. Il subit, courbe le dos, et attend que « l’orage passe » ! Dans cette région bénie par la providence, la guerre est loin. A part quelques privations, la présence incongrue d’étrangers en uniforme et des nouvelles dans la presse et à la radio de Vichy, la vie s’écoule comme elle le fait toujours. Son seul gros chagrin c’est son fils prisonnier dans un stalag allemand. Mais les rares nouvelles qui lui parviennent ne sont pas trop mauvaises. Le fiston supporte sans trop de mal sa captivité. Plongé dans ses amères pensées, notre homme est brusquement intrigué par un bruit inhabituel. D’abord le petit bruit d’un moteur pétaradant, mais qu’il n’arrive pas à  situer ! Ce ne n’est pas sur la route ! Ça, il peut le jurer ! Ce n’est  pas un tracteur ou une pompe d’arrosage dont il connaît parfaitement la « musique ».
Et puis soudain, il comprend que le bruit vient du ciel ! Ce qu’il voit alors le statufie ! Un avion descend brutalement vers le fleuve ! Aucun doute n’est plus permis. L’aéronef en perdition tente de se poser sur la surface de l’eau ! Un panache de fumée noire s’étire derrière lui. Le choc avec l’élément liquide est impressionnant ! La croix noire sur la queue de l’appareil ne laisse plus de doute non plus ; c’était un avion de chasse allemand ! Un « Messerschmitt 109 » dit « Emil » pour les connaisseurs ! A peine immobilisé, le cockpit de l’appareil s’ouvre, et le pilote saute à l’eau. Mais ce que n’a pas prévu celui-ci, c’est que son grand parachute de soie s’est brusquement ouvert et le recouvre totalement ! Des cris furieux et désespérés fusent sous ce linceul blanc qui,  alourdit par l’eau, entraîne le malheureux vers le fond.
Dans un réflexe humain et spontané, notre pécheur prend les avirons de sa barque, et rame comme un damné pour porter secours au pilote.
Après plusieurs minutes de combat épique, le militaire trempé gît au fond de l’esquif du sauveteur. La queue de l’appareil, et sa sinistre croix gammée, pointent encore un moment vers le ciel, puis, l’engin disparaît entièrement dans les profondeurs du fleuve.
Notre méridional subit un flot de remerciement dans une langue gutturale à des années lumières de son patois languedocien. Maintenant, le plus dur et le plus délicat reste à faire ; il doit rapporter son « encombrant colis » à qui de droit. Il n’a pas oublié que la France est occupée, et qu’il y a des obligations auxquelles, malheureusement, il ne peut échapper.
L’officier allemand de la « Kommandantur » de V…  le félicite chaudement. Ce dont se serait passé notre homme qui a fait la guerre de 14-18 et ne porte pas spécialement les Allemands dans son cœur. Son geste a été humanitaire, un point c’est tout ! Mais comme ces gens-là sont quand même « Korrect », le commandant lui demande alors ce qu’il peut faire pour le récompenser. Notre sauveteur décline son offre par fierté et surtout, parce qu’il ne veut  rien devoir à ces militaires, qu’il n’a pas invité à venir chez lui. De retour dans ses foyers, il ne manque pas de raconter son aventure à son épouse. Croyant être accueilli en héros, il subit alors la plus formidable engueulade de la part de son épouse, en trente ans de mariage !

-Comment ? Tu pouvais faire revenir ton fils chez lui, l’arraché à ces barbares, à sa captivité en Allemagne ? Et tu n’as même pas pensé à lui ? Père indigne ! C’est comme ça que tu l’aimes, ton fils ? 
Tu as pensé une seconde à ce qu’il endure là-bas, pendant que tu te goberges ici ? 

Pas la peine de vous raconter le détail des réprimandes subies par notre « pseudo héros » !
Chacun comprendra ce qu’une mère courroucée par le manque d’attention que l’on a pour la chair de sa chair, peut sortir de « vacheries » à un époux « égoïste » qui ne pense qu’à lui !
C’est ainsi, que le cœur lourd de remords, de honte, et de soumission maritale, notre homme revient à la « Kommandantur » pour exiger sa « récompense » ! Quelques semaines plus tard, la joie régne dans la famille. Le fiston, revenu de l’enfer teuton, embrassa sa mère et son père. La vie reprend son cours, paisible, sans soucis importants. On vit même les deux hommes pêcher sur le bord du fleuve, à l’endroit de « l’exploit » du paternel.
La Libération survint enfin !
Le pays est en effervescence ! Il y a des résistants partout ! D’ailleurs, on n’aurait jamais pu croire qu’il y en eut autant dans les environs, tant ils furent discrets pendant l’occupation.
C’est ainsi qu’ils jugèrent deux infâmes « collabos », un père et son fils, ayant « traficoté » avec les « boches » ! Les deux traîtres furent fusillés dans un champ, près de ce grand fleuve, témoin de leur « trahison » ! Maintenant la paix est revenue. Les drames sont enfouis au fond des mémoires, cadenassés comme dans les coffres d’une banque suisse !
Le seul ennemi sournois qui préoccupe encore mon militaire de père, pour l’instant, c’est cette garce de carpe qui refuse de se laisser prendre.

-Oh ! Fils ! Regarde ! Je crois que j’ai une touche ! Passe-moi vite l’épuisette ! 


vendredi 6 mars 2009

Bach attacks

Qui n’a pas vu le film de Tim Burton :
« Mars attacks » ?
Alors pour ceux qui l’auraient raté, il faut expliquer que de redoutables et très méchants martiens, totalement incultes et très cruels, sont anéantis par la voix d’une chanteuse, diffusée par haut-parleurs.
Leur cervelle éclate littéralement aux sons « harmonieux » de la mélodie. Vous pensez sûrement que Tim Burton a trop d’imagination, et qu’une telle chose est trop absurde pour arriver sur notre bonne vieille planète ?

Vous avez tout faux !

Ce que j’ai entendu ce matin, m’a plongé dans une hilarité envahissante, dont je ne suis pas encore guéri actuellement!
Voilà pourquoi, il me faut d’urgence vous la narrer, comme le malheureux, ayant un hoquet tenace, doit avaler un verre d’eau pour le faire passer.
Donc, figurez-vous, que dans ce beau pays lointain de Nouvelle-Zélande, un directeur de supermarché a retrouvé une paix « royale » depuis deux ans.
Plus de tags, plus de bandes de voyous agressant les clients, plus de vols, plus de dégradations imbéciles des locaux et des murs !
Car notre cadre avisé a eu une idée géniale :
Il diffuse toute la journée, sur les dizaines de haut-parleurs du centre commercial de……la musique classique !
Bach, Mozart, Vivaldi, et la voix merveilleuse de Kiri Te Kanawa
(célèbre cantatrice d’origine kanak) font fuir les jeunes délinquants aussi surement que les ultrasons chassent les insectes et les animaux nuisibles !
Etonnant non ?
Donc, non seulement la musique (la vraie !) adoucit les mœurs, mais, de plus, chasse les voyous, et même augmente la production des vaches laitières !
L’utiliser, c’est l’adopter !
Fort de cette expérience intéressante, je verrais bien les policiers, le haut-parleur braqué à la place du « tazeur » si controversé, menacer des bandits sortant d’une banque, après un hold-up !

« Sortez les mains en l’air ! Sinon, on vous envoie une rafale de fugue de Bach » !

Pire ! Ou plus cruel :

« Vous avez dix secondes pour sortir, sinon, nous diffusons une chanson de Tino Rossi » !

Le soldat en alerte ne criera plus :

« Halte ! Ou je fais feu ! »
Mais : « Halte ! Ou je chante du Mireille Mathieu » !

Quelle époque redoutable !
Quand on pense que nos gamins, nos petits « trésors » ne sont rassasiés que de « boucan », que de « bruits immondes » que des escrocs tentent de leur faire passer pour de la musique ! Certains vont encore me courir sur la prostate pour m’expliquer qu’il y en a pour tous les goûts ! Non, m’sieurs, dames !
De toute éternité, il y a eu le « bon » goût et
le « mauvais » goût !
Comme reconnaître celui qui est « bon » ?
C’est pourtant simple : c’est celui qui passe les âges, les sexes, les civilisations, les continents, les siècles, les mœurs, et les modes, sans jamais perdre une once de son charme, ni de son pouvoir de séduction.
Un air de flûte joué sur le bord du Nil, il y a de cela trois mille ans, nous ravira encore, quand il chassera des incultes et des « redevenus sauvages » des allées d’un supermarché !

lundi 2 février 2009

Le bonheur du poisson rouge

Un beau matin…
Beau ? Je n’en sais plus rien !
Je ne m’en souviens même plus, d’ailleurs! Mais comme c’est la formule consacrée ! Et pour être « consacrée » elle l’est vachement !
Bref ! Je me lève ! Et je ne bouscule pas ma femme, comme dans la chanson de l’électrocuté célèbre, vu qu’elle continue à ronfler, vu que c’est pas vrai, qu’il n’y a que les hommes qui le font ! C’est bien connu !
Donc, j’enfile ma robe de chambre, à défaut d’autre chose, et je descends à la cuisine !
Là, je prépare calmement le café, je fais du menu rangement, j’ouvre les volets du salon, de la cuisine. Je hume l’air du matin ! Je caresse tendrement le derrière de ma petite chatte…. !
Pas de fantasme débridé et malsain, s’il vous plait !
Il s’agit réellement d’une chatte (la femelle du chat) et de son réel derrière, c'est-à-dire de son petit cul surmonté d’une belle queue soyeuse ! Et je parle bien de la sienne !
Toujours être obligé de juguler les pensées salaces de mes contemporains !
Ah ! Je vous jure ! Quelle époque !
Bon ! Je continue donc mon petit ménage matinal. Je monte dans la salle de bain. Je me douche, je me brosse les dents, et c’est alors que je fais une constatation angoissante !
Une constatation terrifiante pour moi ! Vous ne voyez pas laquelle ?
Comme je vous connais, je suis sûr que non! Pas un brin d’imagination ! C’est désespérant !
Depuis que je suis levé, je n’ai pensé à rien !
Hallucinant, non ?
Oh je sais ! Pour beaucoup d’entre vous, c’est une situation tout à fait normale !
Mais pas pour moi !
Et le pire, c’est que j’ai trouvé cela vachement agréable !
D’habitude, au saut du lit, j’ai les trompes d’eustache agressées par les nouvelles du monde entier. Et comme ce sont toujours des catastrophes, des fait-divers bien pourris, bien « dégueux », des infos à vous flanquer le blues pour la journée, votre esprit part en pleine forme ! Bien dopé pour la joie et la bonne humeur nécessaire pour une bonne journée de travail!
Moi, qui suis un être très émotif et très sensible, je prends tous ces évènements au premier degré, en pleine poire !
C’est ainsi que je me lève, la tête farcie de problèmes « politico-métaphysico-socialo-mentalo-zintellectuels » vachement graves !
Je vous jette en vrac le sac poubelle qui se vide soudain dans mes neurones :
_Qui est le père de Rachida Dati ?
_Oui ! Je dois poster cette lettre pour la sécu de toute urgence !
_Louis XIV a-t-il eu raison d’écouter cette conne de bigote de Maintenon ?
_Tiens ! Line Renaud m’a agacé, hier soir, dans ce téléfilm à la con ! Pourtant, je l’aime bien Line, quand je pense qu’elle est passée de Franck Sinatra, à Dean Martin, sans oublier Samy Davis junior, à Las Vegas, pour terminer avec Dany Boon à Bergues !
Faut le faire ! Non ?
_Transformer le vice-roi de la Périchole d’Offenbach en « dictateur de pacotille », quelle idiotie !
_Va falloir que je change les essuie-glaces de la voiture !
Et c’est comme ça, toute la journée !
Je ne sais pas si c’est pareil chez vous, dans vos caboches, mais il me vient soudain des bouffées de colère où j’ai envie de hurler :
VOS GUEULES LA DEDANS ! ON NE S’ENTEND PLUS !
Et puis le calme revient !
Je croise alors le regard de ma petite chatte (toujours elle) ! Je me demande soudain ce qu’il y a derrière ses beaux yeux ronds et grands ouverts qui me regardent avec étonnement !
Le vide ? Quelques lueurs de sentiments ? Et je songe aux animaux, à l’évolution, à Darwin, et c’est REPARTI ! Fatiguant ! Epuisant !
D’ailleurs, il faut que l’on tue ici, un préjugé tenace !
C’est celui qui consiste à croire que les déprimés, les gens peu actifs ont la tête vide !
C’est exactement le contraire !
Il a été démontré scientifiquement, par des tests cliniques, que les encéphalogrammes de
Personnes fortement déprimées, présentaient une activité cérébrale intense !
Contradictoire ? Pas du tout !
Imaginez une voiture dont l’embrayage serait mort ! Qu’est-ce qui se passe ?
Le moteur s’emballe, ronfle furieusement, mais l’automobile n’avance pas d’un centimètre !
Pour le déprimé chronique, c’est exactement ça ! Son « embrayage mental » est mort !
C’est pourquoi, ceux qui travaillent trop de la « casquette » ne sont pas des plus actifs !
Et comme le résumait si bien Michel Audiard :
« Un con qui marche va plus loin qu’un intellectuel assis ! »
Donc, pour être bien dans sa peau, être heureux, il ne faut penser qu’à ce qu’on fait à l’instant présent ! Et à rien d’autre !
« Ici et maintenant » comme disent les adeptes du Yoga !
Ne plus penser, voilà le vrai bonheur ! Ne plus avoir de mémoire non plus !
Parfois, quand je passe devant une animalerie, que je vois de beaux aquariums bariolés et pleins de bestioles aquatiques, je me mets à songer qu’elles n’ont que cinq secondes de mémoire !
Ah le bonheur du poisson rouge dans son bocal !

lundi 19 janvier 2009

Fric frac en famille !


Ce n’est pas que je sois très fier de ce que je vais vous raconter, mais cette cocasse aventure pourra rendre service à plus d’un d’entres vous ! Figurez-vous que mon fils possède un beau deux-pièces dans la commune voisine où nous habitons.
A la suite d’un dramatique accident de la circulation, celui-ci eut le pied broyé par la roue d’un autobus.
Mais comme nous avons les os solides dans la famille, il n’a pas eu de fractures !
Seulement un pied en compote, et il doit refaire ses pansements régulièrement.
Vous avez compris qui est l’ambulancier de service ?

C’est ma pomme, bien sûr !
Donc, j’arrive chez le fiston. Il se prépare.
Nous sortons dans le couloir au son des cannes anglaises s’entrechoquant et du brouhaha d’un début d’engueulade à propos de quelque chose dont j’ai totalement oublié le sujet depuis!
Je me retourne pour fermer la porte à double tour.
Celle-ci ayant déjà été refermée en la claquant, comme nous faisons tous !
Je ne m’inquiète pas, puisque j’ai la clef !
Mais……horreur !
Impossible de la faire tourner dans le canon!
Et c’est là, que mon charmant « bambin » de vingt cinq balais et du haut de son mètre quatre vingt cinq m’annonce qu’il a laissé ses propres clefs dans la serrure !
Tout ceci, avec un sourire désarmant de désinvolture et de sang-froid !
Arrrgh ! B.. el de M..de ! Pourquoi ai-je fais des gosses ?
C’est toujours dans ces moments là que l’on oublie les joies de la paternité !
Allez savoir pourquoi !
C’est vrai ! Au début, c’est mignon, ça réjouit la maman !
On se dit que l’avenir est assuré !
Que l’on va avoir un « retour sur investissement » ect… !
C’est qu’on oublie toujours le « service après-vente » et les « dégâts collatéraux » !

_Fils d’abruti ! Qui va payer le serrurier maintenant ? Hein !
Tu vas en avoir pour au moins 90 euros !

Là, son sourire s’est figé, vu que ses gènes en provenance du Limousin se sont réveillés brutalement !
Il n’y a pas que les Auvergnats qui soient rapiats !
Leurs voisins du plateau des mille-vaches aussi !
Moi qui vantais les mérites de cette belle porte costaude, sans poignée, avec même une planche sur le seuil pour que l’on ne puisse même pas y glisser une feuille de papier !
C’est elle qui se marrait maintenant !
« Tu peux toujours essayer de m’ouvrir, pauvre pomme ! »
Semblait-elle me dire !
Et comme nous sommes au deuxième étage, avec des fenêtres en double vitrage, tu peux courir pour passer par l’extérieur !
Ah le désespoir qui s’est abattu soudain sur nos épaules !
C’est dans le trajet en bagnole que m’est apparue la solution !
Les millions de films policiers et d’aventures à la con, visionnés au cours de mon existence, allaient enfin me servir à quelque chose !
Qui n’a pas vu Sean Connery, Pierce Brosnan, Roger Moore ouvrir la plus réfractaires des portes avec un bout de bristol ou une carte de crédit ? Hein !
Donc, plein d’espoir au retour de la clinique, et l’organe de mon fils bien bandé
(je parle de son pied, bien sûr !Mesdames ne rêvez pas !)
on s’est présenté devant cette ignoble porte dont l’insolence muette nous agaçait un brin ! Heureusement que la vie moderne nous procure un tas de cartes de crédits de toutes sortes, de toutes les couleurs, dont certaines ne servent strictement à rien, sauf à encombrer pendant des années, des porte-monnaie ou des portefeuilles, et qu’on finit par balancer à la poubelle, un soir de prurit de rangement !
Bref ! J’en trouve une, totalement inutile au commerce, et à tout service quelconque, mais assez souple pour me servir de
« rossignol » !
Et je commence alors mon travail de « malfrat amateur » en espérant qu’un voisin trop curieux, ne nous connaissant pas n’ait pas l’idée saugrenue et imbécile d’appeler « police-secours » ! Heureusement, nous sommes en pleine semaine, et au milieu de la journée !
Les locataires travaillent ! Et ils ont bien raison !
La carte à moitié bouffée aux mites, le découragement me gagne !
Le fiston prend la relève !
Wouah ! Ô miracle !
Un coup d’épaule, et la porte s’ouvre !
A ! Quel soulagement ! Ah quel bonheur de rentrer enfin chez soi !
Oui, mais tout de suite, l’abominable suspicion de la méfiance humaine reprend le dessus ! Comment de simples « amateurs » comme nous, ont pu réussir à ouvrir une porte aussi facilement et apparemment bien fermée ?
Car ce que nous avons fait, d’autres petits « malins » peuvent le faire ! N’est-ce pas ?
Alors, je comprends plusieurs petites choses essentielles que nous devons tous savoir devant ce genre de problème :

_Il ne faut JAMAIS laisser ses clefs dans la serrure, à l’intérieur de l’appartement !
_Il faut TOUJOURS fermer sa porte à double tour
_Que nous avons eu de la chance que le biseau du penne de la porte soit bien orienté vers nous !

_ Enfin qu’il ne faut pas se précipiter pour appeler le serrurier dans le cas que je viens de vous narrer !
Pas la peine de favoriser imprudemment une propension à l’escroquerie de la part de certains artisans !
Si vous voyez ce que je veux dire !

mardi 13 janvier 2009

Le festin de la colère

L’histoire que je vais vous raconter aurait pu faire l’objet d’une nouvelle de Guy de Maupassant, mais sûrement écrite avec beaucoup plus de talent que moi !
Il aurait adoré ce récit campagnard de la fin du 19° siècle.
C’était dans son registre, dans le domaine de sa sensibilité d’artiste !
Bien que Normand, le drame provincial d’une petite paysanne du Sud- ouest ne lui aurait pas été indifférent.
Car tout y était !
Le milieu paysan et pauvre. Une petite bourgeoisie vaniteuse, des amours « ancillaires », l’argent, l’honneur et la vengeance !
La petite paysanne pauvre et très jeune d’à peine seize ans, est mon arrière-grand-mère maternelle.
Je ne sais pas grand-chose d’elle ! Pas une image, pas un portrait, rien !
Seulement un prénom : Anna.
Et aussi le récit épique colporté dans la famille depuis des décennies, mais dont les détails se perdent dans la brume du temps.
Il ne reste qu’une trame essentielle sur laquelle l’imagination peut broder ses dentelles de sentiments.
Je ne pense pas que son histoire inspirera un opéra ou même un roman, et encore moins un film.
Elle ne fut pas Colomba, ni Carmen, ni la Dame aux Camélias, pas même Fantine ou encore moins Esmeralda ! Il s’en faut de beaucoup.
Non ! Simplement une petite gamine que des parents impécunieux placèrent dans une maison bourgeoise, auprès d’un jeune veuf d’une trentaine d’année.
Je n’ai pas le souffle du romancier pour vous décrire pendant des pages et des pages, la vie quotidienne de ces deux êtres placés l’un à côté de l’autre par les circonstances de l’existence.
Je laisse cela à Proust et autres « pisseurs de mots » !
Chacun joue sa « partition » comme il le peut !
Ma bisaïeule était forcément charmante ! On l’est souvent à cet âge ! Et puis l’orgueil familial l’exige !
Les hormones du jeune veuf fonctionnant normalement, on imagine aisément ce qui pouvait le travailler, ce brave garçon, lorsqu’il rentrait chez lui, le soir ! .
Sans besoin d’explications oiseuses et pour protéger la pudeur post-mortem de ma parente, je vous laisse deviner ce qu’il advint de cette promiscuité ancillaire.
En premier lieu, une charmante et belle passion amoureuse.
Du moins, mon terrible besoin de romantisme ne peut pas envisager autre chose !
Je n’ose pas imaginer qu’elle ne fut qu’un objet de consommation courante pour un jeune bourgeois libidineux !
Vivant quasiment comme un couple « normal » Anna a dû faire des rêves insensés !
Qui n’en aurait pas fait à son âge ?
Alors, est-ce un manque de connaissance ? Ou peut-être une imprudence ? Ou encore un acte volontaire et pleinement assumé?
Personne ne pourra jamais sonder l’âme de mon arrière-grand-mère pour le savoir !
Bref ! La nature se moquant des rêves, Anna tomba enceinte !
On ne sait pas si le jeune veuf accepta avec « enthousiasme » la nouvelle de sa future paternité !
Car c’est ici que se terminent mes certitudes ! Enfin, jusqu’au dénouement final, qui lui, est de nouveau bien connu !
Il est intéressant de constater que ce qui suivit, est du domaine de la spéculation la plus pure.
On peut d’ailleurs faire toutes sortes de scénarios pour envisager l’enchainement réel des évènements qui suivirent.
Anna a-t-elle annoncé très tôt son état à son amant ou a-t-elle gardé son « secret » le plus longtemps possible ?
A-t-elle été victime de promesses inconsidérées de la part du jeune bourgeois, ou a-t-elle exercé un chantage sur lui par cette maternité ? Nul ne le sait !
Il est une autre certitude pourtant, et que j’avais oubliée au passage, c’est que le veuf annonça bientôt son remariage avec une jeune bourgeoise issue d’une bonne famille de la région, comme il se devait, bien sûr !
Comment et quand annonça-t-il la nouvelle à ma bi-aïeule ? Mystère !
Sans avoir fait une licence de psychologie, ni d’avoir lu, dans son entier, « la comédie humaine » de Balzac, on peut comprendre le désespoir abyssal qui dû saisir la pauvre enfant, et future maman de surcroit.
Car on ne plaisantait pas, autrefois, avec les « filles perdues » qui avaient vu « le loup » avant d’être passé devant Monsieur le curé ! Et qui plus est ; avec un enfant du « péché » !
Le déshonneur, le chagrin, la honte, et même la misère ! Voilà ce qui attendait Anna !
Comment ma pauvre parente surmonta ce chagrin ? Là aussi, c’est un mystère !
Il fallut bien que l’amour de la vie lui soit terriblement chevillé au corps pour qu’elle n’eut pas la tentation de commettre l’irréparable ! Sa tendre jeunesse, peut-être ?
Le jour de la belle noce bourgeoise arriva ! Tout le village était en fête ! Pardi !
Que l’on soit pauvre ou riche, un mariage à cette époque, et encore plus que maintenant, c’était une manifestation festive qui emportait toute une petite communauté, au-delà même des propres familles ! C’était un véritable évènement.
Quant à ma pauvre Anna, il est une certitude, c’est qu’elle était sur les lieux du banquet.
Comble de l’ironie cruelle de l’existence, elle participait, avec une foule de petites « esclaves » comme elle, à sa préparation !
Celui-ci se trouvait en plein air, apparemment dans une grande cour de ferme, par un magnifique soleil d’été faisant éblouir les nappes immaculées sur lesquelles s’étalait une vaisselle de riche où resplendissaient l’argent et le cristal !
Ah ! On n’est pas « bourges » pour rien !
Et une noce est bien le moment le plus propice pour étaler ses richesses !
Et puis, tout le monde est parti à l’église ! Strictement tout le monde ! Seule Anna est restée !
C’est marrant, mais je l’imagine bien, le front appuyé à la vitre de la cuisine, en train de regarder, songeuse, toutes ces agapes destinées au bonheur d’une autre !
Pendant ce temps-là, la messe se déroulait pieusement à l’église, au son de l’orgue vénérable qui en avait vu tant d’autres !
Ce fut comme toutes les messes de mariage : long et chiant, avec la marmaille qui pleure et les portes qui claquent à cause des retardataires !
La noce est sortie sous le carillon des cloches sonnant à toute volée grâce un bedeau déjà pompette, les poches pleines de monnaie et de billets !

C’est lorsqu’elle déboucha dans la cour de la ferme que les visages se figèrent d’effroi !
Les tables étaient vides !
Mais vides à un point ! On ne voyait plus que la surface de leurs belles planches en bois !

Il faut vous dire, qu’au milieu de cette cour, juste au centre du cercle formé par les tables, se trouvait un puits magnifique.
Un puit, avec une belle margelle ! Et d’une profondeur !
« Oh coune dé boune dille », comme on dit là-bas ! (Traduction phonétique bien sûr !)
Le gouffre de Padirac ! Pas moins !

Ah ! On savait faire les puits à cette époque là !
Et puis des nappes, c’est tellement commode pour y jeter des objets dedans!

L’épilogue de cette histoire familiale (et authentique !) c’est qu’Anna rencontra tout de même, un brave homme qui l’épousa, reconnu aussi sa petite fille qu’il éleva comme la sienne.
Quand je pense que j’ai peut-être des chromosomes d’un enfoiré de bourge ?
Terrifiant, n’est-il pas ?
Ce qui prouve que l’on ne peut pas maitriser ses origines, mais simplement les subir !
Pourquoi vous ai-je raconté cette histoire qui aurait dû rester secrète ?
L’impudeur de l’écrivain ou le désir d’une âme oubliée qui veut que son arrière-petit-fils
Raconte son exploit pour ne pas que les vivants oublient qu’une mauvaise action se paye toujours ?
C’est aussi pour montrer que les « timides » ou les « faibles supposés » peuvent avoir des colères froides aux conséquences ravageuses !
Et dire que j’ai peut-être son caractère !