lundi 28 avril 2008

Les timides à la caserne


Dans mon automobile moderne et silencieuse, une bécasse à la voix suave débite une annonce publicitaire pour une représentation théâtrale, comme une phtisique sur le point de mourir.
Je sais bien qu’il faut savoir ménager les nerfs du « tomobiliste »,
mais quand même !
Vous avez sûrement reconnu cette chaîne de radio, dont la regrettée Sophie Daumier en avait fait un sketch savoureux !
Et là ! Oh stupeur, j’entends le titre de la pièce qui me plonge plusieurs décennies en arrière, au temps « glorieux » de mon passage sur la base aérienne d’Orange.
Il s’agit du « Timide au palais » !
C’est une pièce de Tirso de Molina, auteur espagnol célèbre du 16ième siècle.
Déjà, je sens que vous vous en foutez royalement, et que vous ne saisissez pas très bien le rapport qu’il peut y avoir entre une base aérienne, et une pièce de théâtre d’un vieux « kroum » dont les 9/10 d’entres-vous n’ont même jamais entendu parler!
Alors, je vous explique.
Sur cette magnifique base de l’armée, en ce beau mois de mai 1968, qui s’annonçait chaud pour de multiples raisons, les distractions étaient fort rares, pour les « punis » et les pauvres malheureux qui n’avaient pas de « perm » de « ouikande ».
Heureusement pour moi, j’avais fait la connaissance d’un camarade vachement sympa, gentil, réservé, qui partageait mes goûts, mes passions, et surtout savait écouter mes longs bavardages.
Nous étions tellement amis, que nous en étions devenus totalement
inséparables.
« Montaigne et La Boétie », « Castor et Pollux », « Voltaire et Frédéric II », « Roux et Combaluzier », mais quand même pas « Bouvard et Pécuchet » !
Sinon, je me fâche !
Donc, pour toutes « distraction » nous avions le « cinoche » sous un hangar en tôles ondulées, aussi confortable qu’un sauna finlandais, sans la possibilité de se foutre à poil, et une minuscule salle de télévision, dans le « foyer du soldat » !
Les films, dans cette salle « art et d’essais » pour bidasses désoeuvrés,passant tous les dimanches valaient largement ceux que Monsieur le Curé de Saint-Locdu-sur-Charentaise donnait les jeudis après-midi, à sa troupe de louveteaux et de scouts !
Il n’y avait pas de quoi émoustiller la libido d’une bande de gamins de vingt ans ! C’est moi qui vous le dit !
Or, il advint cette chose extraordinaire, qu’un jour le programmateur de la base, dans un moment de pure « folie », décida de nous faire visionner :
« Angélique, Marquise des Anges ! »
La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre !
Comme on écrit dans les romans de « Monsieur Arlequin » !
Car, à notre belle époque pré-soixantehuitarde, la série des « Angélique » passait pour des œuvres quasiment licencieuses !
Et la plastique de Michèle Mercier provoquait des sécrétions nocturnes chez tous les bidasses en manque de tendresse et de sensualité !
Bref ! Ce fût presque l’émeute devant le cinoche !
Deux mille excités se pressèrent devant les portes de l’étuve cinématographique.
De mémoire de projectionniste de la base, on n’avait jamais vu ça !
C’est tout juste, s’il ne fallut pas faire appel à la police militaire pour rétablir la discipline.
Et pendant ce temps-là ? Hum ?
Devinez un peu ? Si ! Si !
Je crois que vous avez compris !
Deux « timides » bien peinards, en regardait un troisième, à la télévision, sous les traits de Dominique Paturel, se débattre dans les affres de l’amour.
Ah ! On n’a pas été dérangé !
Et nous avons passé une excellente soirée !
Le seul et très léger inconvénient, c’est que nous sommes passés pour des « pédés » par nos copains de chambrée, totalement hermétique à notre goût pour le théâtre espagnol du 16ième siècle.
Ah les préjugés, je vous jure !
Après bien des années, et bien de mûres réflexions, en pensant à mon charmant camarade, dont j’ai même oublié jusqu ‘au nom et au prénom, je me demande sincèrement si……. !
Bof ! Et puis quelle importance, hein ?

mercredi 23 avril 2008

Solidarité féminine

Comme les temps changent, et que les mœurs évoluent!
Hier je regardais pour la nième fois le chef-d'œuvre impérissable de l'éternel John Ford: "L'homme tranquille"! Revoir la flamboyante "crinière" de Maureen O'Hara est toujours d'une sensualité renouvelée!
Qui ne se souvient pas de l'homérique bagarre de la fin du film!
Mais il y a sûrement un détail cocasse et savoureux qui vous a échappé!
Une petite scène de rien du tout, mais qui, dans le contexte matriarcal et féministe de notre début de siècle, vaut son pesant de décalage insolent!
Alors que ce « macho » de John Wayne traîne sa "pauvre victime" comme un barda encombrant, sous les regards salaces et pervers de la foule villageoise en délire, une femme d'un certain âge s'approche du couple infernal en pleine crise conjugal.
Elle tient un bâton noueux, sorte de branche d'arbre mal dégrossi à la main.

_Tenez mon brave Monsieur, c'est pour battre votre femme quand elle ne sera pas sage!

Je suis absolument interloqué par le fait de ne pas comprendre comment une telle scène, d'une obscénité et d'une violence aussi grande, n'ait pas été censurée à notre époque par les responsables de la chaîne qui diffusait ce film!
Vous imaginez ce scandale?
J'espère que nos féministes acharnées, n'ont pas assisté à ce spectacle infamant! Vous imaginez le choc émotionnel qui a dû ravager leurs petites âmes sensibles et délicates, à ces pauvres chéries?
Il faudrait au plus vite établir un comité de surveillance et de censure pour supprimer toutes ces "horreurs" des productions cinématographiques, littéraires et musicales!
Cela devient urgent!
On ne devrait plus entendre cette chanson de Boris Vian chantée par une écervelée:
"Johnny, Johnny…fais-moi mal"
ou encore, plus récemment une jeune péronnelle susurrer ;
"Bouscule-moi un peu !"
Non mais! Et quoi encore ?

Le "machisme" ne triompherait plus si des traîtresses irresponsables ne lui prêtaient plus assistance, d’une manière aussi irresponsable!

mardi 15 avril 2008

L'avion de l'ambassadeur

Le poste de police de la base aérienne de Bou Sfer était bien fréquenté quand j'eus la joie et le bonheur d'y faire un séjour prolongé.
C'est que les « mauvais garçons » punis pour « mauvaise conduite » y étaient très nombreux.
Normal! Que vouliez-vous faire pour vous distraire, à 2500 kms de chez vous, dans un endroit désertique où la seule « réjouissance » était de cramer au chalumeau les punaises qui envahissaient votre plumard!
Nous n'étions pas réellement en prison. Nous faisions ce que le règlement militaire appelait pudiquement de la « salle de police »!
C'est à dire que dans la journée, nous travaillions tout à fait normalement, mais que le soir, au lieu de rejoindre nos camarades dans nos chambrées, nous allions au poste de police, dormir dans de belles cellules réservées spécialement pour nous!
Au risque de passer pour un farfelu, et pire, pour un malade mental, je vous dirais que j'étais ravi de rejoindre ma cellule, tous les soirs!
Pour plusieurs raisons; la première, c'est qu'elle n'était pas envahie de punaises qui vous bouffait le corps toutes les nuits, et la deuxième, c'est qu'il y régnait un calme, une paix seulement brisée par les hurlements de quelques coyotes et quelques fennecs, dans la nuit algérienne!
Sons mille fois plus mélodieux et harmonieux que les braillements d'ivrognes et de fêtards qui se prolongeaient parfois jusqu'à une heure du matin, dans des chambrées enfumées de mauvais tabac!
Et puis j'étais entouré, dans la salle commune, avant l'extinction des feux, par une troupe de joyeux drilles, dont un « guitariste » futur instit.
Celui-ci, dans un épanchement de confidence, nous narra l'aventure qui lui valait ce séjour « trois étoiles » parmi nous.
Il travaillait à l'escale, c'est à dire en bord de piste de l'aérodrome, dans de grands hangars, à des tâches administratives plus ou moins obscures.
Un jour, il reçoit la nouvelle stupéfiante de la venue de l'Ambassadeur de France en Algérie qui doit passer par Bou-Sfer!
Cet apprenti fayot de l'Education nationale téléphone immédiatement et directement à notre colonel commandant la base pour l'avertir de la « bonne » nouvelle.
Celui-ci, un sanguin apoplectique, et surtout très imbibé d'alcool, est tétanisé par l'évènement!
En moins de temps qu'il ne faut à un légionnaire moyen pour écluser sa « botte » de bibine et notre officier supérieur rapplique dare-dare avec la clique de la Légion sur le tarmac de la base.
Pour les quelques ignards qui ne le sauraient toujours pas, une « clique » n'est pas un rassemblement de « malfaisants » ou de « voyous vindicatifs » mais un orchestre militaire!
Le tapis rouge est déployé. Les soldats sont impeccablement bien alignés. Notre colon, les gants blancs (beurre frais) , et l'uniforme irréprochable fond comme un glaçon sur une plaque chauffante, au soleil impitoyable du désert tout proche!
Enfin l'avion fait son approche. C'est un vieux DC3 fatigué qui a fait toutes les guerres coloniales de la France.
Il se pose. Il vient se garer très sagement devant cette garde d'honneur, et coupe ses moteurs.
La porte s'ouvre. La musique retentit. Et sortent ......deux sous-off en tenue de vol cradingue, visiblement ahuris de l'accueil qu'on leur réserve!
Le colonel se précipite, angoissé.

_Où est l'ambassadeur, messieurs?
_Quel ambassadeur, mon colonel?
_Mais il ne devait pas venir?
_Non, mon colonel! C'est juste son avion que nous amenons pour une visite technique!

Hou! La! La! Dans le regard au bord de l'apoplexie, d'un colonel ainsi ridiculisé devant sa troupe, la vision d'un soldat se faisant fusiller de douze balles dans la peau a dû passer dans le crâne du colonel.
Il l'aurait bien étranglé lui-même, mais se contenta de lui infliger trente jours d'arrêt de rigueur!
Voilà pourquoi je me suis farci pendant dix jours, tous les soirs, le massacre de « jeux interdits » à la guitare, par un futur « tortionnaire » d'élèves!
Heureusement, « mai 68 » n'était pas loin.
Sans être devin, ça m'étonnerait qu'il leur ait raconté son exploit, à ses futurs cancres!
Il est des « actes de bravoure » qu'il vaut mieux garder pour soi!

« Mister Ed » Mon bon samaritain (5)

Les civilités et les politesses passées, il fallut que cette brave famille Gluth
traîta le « produit exogène » le plus rapidement possible.
Ils connaissaient mon problème et voulurent le régler à l'américaine!
C'est à dire, avec célérité et efficacité!
Manque de pot, un visa « touriste » est aussi difficile à changer en « carte verte » aux Etats-Unis que pour un français de parler du montant de sa fiche de paye.
C'est vous dire l'exploit impossible que cela représente!
A propos de fiche de paye, Mister Gluth me déclara un jour qu'il gagnait deux cents dollars par semaine!
Il se serait foutu à poil devant moi, que ma gêne n'aurait pas été plus grande! Vous vous rendez compte? Dire ça à un Français, sans précaution?
Et à un étranger par dessus le marché?
Quelle impudeur, ces Américains, je vous jure!
Aucune crainte du fisc ou de l'envie de leurs voisins, ces pauvres américains!
Ils sont d'une naïveté sans bornes!
Une fois, longtemps plus tard, j'ai voulu coller ma fiche de paye sur la porte de mon bureau!
J'ai failli être lynché par mes collègues!
On ne plaisante pas, en France, avec ce que vous donne votre patron!
C'est définitivement « secret » et « tabou »!
Montrer ses fesses et ses parties génitales, à la rigueur!
Mais sa fiche de paye? Ça? Jamais!
Pour revenir à ma « green card », je n'eus pas la même chance que Gérard Depardieu eut dans le film du même titre.
C'est pas à moi, que serait arrivé le bonheur d'être hébergé par une Andy MacDowell de rêve!
Madame Gluth étant aussi « sexy » que son robot culinaire, rutilant et dépourvu du moindre « germs ».
Mais ils sont partis vaillamment « en guerre, » pour le sauver « le soldat Gérard », avec courage et détermination.
Ils firent d'abord jouer leurs nombreuses relations des « témoins de gévéor ».
Et Dieu sait si elles étaient hétéroclites et variées.
Mais le mieux, c'est que je vous dresse le portrait individuel de chacun d'eux.

Tout d'abord, j'eus la joie immense de rencontrer un commandant de bord, pilote de 737 sur une petite compagnie aérienne.
Car le privilège qu'il m'accorda, est absolument unique dans ma vie, et totalement impossible à renouveler de nos jours.
Pour des raisons que chacun comprendra aisément!
Figurez-vous que j'eus le privilège insigne de visiter, grâce à lui, la tour de contrôle de Chicago O'Hare, qui était le plus grand aéroport de la planète.
Un de ceux dont le trafic est l'un des plus denses de la terre. C'est lui qui servir de modèle pour le mythique film catastrophe: « Airport »
Je visitais même « l'approche », salle des radars où dans autre film mythique:
« Y a-t-il un pilote dans l'avion », un contrôleur farfelu transforme son « scope » en machine à laver le linge!
Mais, même pour balayer les hangars, je ne fis pas l'affaire.
Ils me trimbalèrent un soir, dans une belle propriété perdue au fond d’un bois où séjournait un juge, qu’ils nomment là-bas, un « attorney » !
Rien n’y fit !
C’est alors qu’ils m’emmenèrent à Chicago. Nous grimpâmes dans un immense gratte-ciel pour entrer dans un bureau, vaste comme un hall de gare, pour rendre visite à un pote à eux.
Civilités, sourires politesses, et puis, retour à la case départ!
Quand nous fûmes sur le trottoir, Madame Gluth se pencha à mon oreille et en montrant le sommet de ce vaste machin de béton, me susurra sur le ton de la confidence secrète: « His own »!
Voyant mon incompréhension totale, elle répéta: « his own »!
Malgré mon anglais sommaire, je finis par comprendre qu'elle voulait me dire que le gratte-ciel appartenait à l'homme que nous venions de voir!
C'est vous dire l'ampleur de leurs relations!
Plus sordide, je fus trimbalé dans un vaste hôpital où l'on embauchait des employés de salle pour les corvées d'entretien et de nettoyage!
Vous décrire mon « enthousiasme » serait superflu.
Je touchais le fond du désespoir et de la déprime!
Mais le plus beau m'était réservé pour la fin.
C'est quand je vis les drapeaux américains et les uniformes militaires que je commençais avoir des doutes!
Ben ouais! C'était bien ça! J'ai failli partir pour le Vietnam!
Oui! Oui! M'sieurs dames!
Ils n'avaient rien trouvé de mieux que de me faire enrôler dans l'armée pour résoudre mon problème de visa!
Heureusement pour moi, les Etats-Unis ne connaissent pas l'équivalent de
notre « Légion étrangère »!
Comme la baguette, le béret basque, la pétanque, le beaujolais et la tour Eiffel, elle est « Only french »!
Non mais? Vous me voyez dans la plaine des jars? A Saigon?
Bon! J'aurais été sur les traces de mon père, lorsque que
le Vietnam était encore « l'Indochine »!
Mais ce pèlerinage familial ne m'aurait pas ravi outre mesure!
A leur décharge, cela partait d'une bonne intention! Et puis, je ne pouvais rien refuser à mes hôtes!
Nous touchions le fond du désespoir. Il fallut tristement se rendre à l 'évidence!
Je ne serai jamais un citoyen américain!
Heureusement, la famille, dans son infinie bonté, voulu bien m'avancer le prix du billet de retour!
C'est ainsi que je passais encore le Noël aux Etats-Unis, avec, quand même en prime, l'aventure de Frank Borman tournant autour de la lune, dans son vaisseau Apollo!
Les adieux furent déchirants, dans l'aérogare!
Les deux représentantes du sexe féminin chialant comme il se doit, et Mister Gluth hilare et débonnaire comme tous les hommes qui voient leur problème se résoudre!
Car, nous les hommes, nous sommes d'un égoïsme et d' une « insensibilité » proverbiale! C'est bien connu! N'est-ce pas mesdames?
Il m'a quand même offert un « silver dollar », un « Kennedy » fort rare, en guise de cadeau d'adieu!
Je pris alors le boeing 707 d'Air France, immatriculé « FBHSH »pour être précis!
Je le sais, car j'allais l'avoir sous le nez, pendant des années, dans mes fonctions aux Aéroports de Paris!
Je voyageais donc un soir de réveillon du nouvel an, au-dessus de l'atlantique!
Nous n'étions que cinq passagers à bord! Pas un de plus!
On nous avait regroupés à l'avant de la cabine (pour ne pas nous perdre!)
On a quand même eu droit au champagne.
Mais je me souviendrais toute ma vie du film diffusé pour nous « distraire »! Imaginez un écran au fond de la cabine! C'est un film d'aventures! Bagarres, poursuites en voiture, etc..!
Jusque là, ça va!
Mais soudain, les protagonistes, un « gentil » et un « méchant » se retrouvent dans un avion! Plus précisément dans la cabine de pilotage!
Là, je ne sais pas si vous comprenez ce qui se passe!
Ils se battent comme des chiffonniers, bien sûr!
Et qu'est-ce qui arrive fatalement, à votre avis?
Oui! C'est ça!
L'avion par en vrille et plonge vers le sol!
Le seul petit défaut c'est qu'en fonction des turbulences, et de voir cet écran au fond de la cabine, j'avais l'impression horrible que c'était NOTRE avion qui partait en vrille, et qui fonçait vers le sol!
Je me suis toujours demandé quels étaient les parfaits abrutis qui avaient décidé de passer ce genre de film dans les avions de la compagnie Air France!
Enfin, l'aurore s'épanouit à travers les hublots pour chasser tous ces vilains cauchemars, et la délivrance fut proche.
Quand nous nous sommes posé à Orly, la toute première impression que j'eus, et qui me reste encore dans l'esprit, c'est d'avoir eu le sentiment de débarquer dans un tout petit aérodrome de province!
Je vous jure que c'est vraiment la sensation que j'ai eu!
Mais ce « petit aérodrome de province » allait devenir pour de longues années mon lieu de travail, celui que j'ai choisi, que j'ai aimé, qui est attaché à mon âme pour toujours!
Quant à ma charmante petite famille américaine, si vaillante, si généreuse, qui m'a accueilli sans se poser de question, sans rien me demander, je l'ai lâchement oubliée, enterrée dans mes souvenirs, au point de ne même plus savoir ce qu'ils sont devenus.

Cher « Mister Ed » qui ne me dira plus « one day more, one dollar more », je pense que dans son paradis, il doit me regarder de son bon sourire et doit m'avoir pardonné mon ingratitude à son égard!
Que ces quelques lignes écrites pour lui en soit la modeste réparation.

jeudi 3 avril 2008

« Mister Ed » Mon bon samaritain (4)

Un jour, Monsieur Gluth m’emmena visiter son lieu de travail, dans la grande ville de Chicago.
Il n’était pas un grand ponte de la finance, ni même un chef d’entreprise, au vu de sa belle et confortable maison ! Non !
Il était comptable dans un abattoir de Chicago. Un modeste employé d’une grande entreprise.
Là encore, quand on connaît un peu sa géographie, et que l’on a entendu parler des célèbres abattoirs de Chicago qui ravitaillent en viande tous les Etats-Unis, on se dit que c’est d’une banalité suspecte ! Et que je suis allé au plus facile !
Ben, pourtant, c’était la stricte vérité.
Donc, nous avons pris son « paquebot » à quatre roues, et emprunté les fameux « highway » !
Sur ces rubans de béton, j’ai assisté à un phénomène curieux que je ne devais plus jamais revoir ailleurs ! Et je dis bien ; jamais !
Tous les véhicules qui roulaient à nos côtés, le faisaient strictement à la même vitesse.
A un point tel, que j’avais la furieuse impression d’être sur un tapis roulant géant.

J’ai commencé par apercevoir la masse sombre de la ville se détachant sur l’horizon.
Bientôt nous pénétrâmes dans cette cité de « gangsters », chantée par Frank Sinatra, qui s’y connaissait bien en matière de voyous et mauvais garçons.
Ma première impression fut celle d’un écrasement terrifiant devant ces immeubles géants.
Je ne les voyais pas si rapprochés les uns des autres. Je compris alors, instinctivement et définitivement que j’étais un être de la campagne !
Puis il me revint en mémoire ces vers de mon enfance, ânonnés pour ne pas être puni, mais qui prenaient ici soudain toutes leurs saveurs :

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine

Merci Monsieur Du Bellay, et merci mes professeurs qui m’avaient forcé à l’apprendre !
Ouais ! Car à ces immeubles effrayants, à ces phallus prétentieux, dressés par la vanité des hommes, j’aurai toujours plus de goût pour les courbes féminines des collines, pour les jolis mamelons verdoyants, pour les forêts aux buissons prometteurs cachant de tendres ébats !
Cette vie de termitière, comme notre héroïque Saint Ex la nommait, ne m’a jamais attiré.
Comme ils sont merveilleux mes petits villages de la campagne française, à côté de ces enfers d’acier et de béton !
Même si je dois faire de la peine à des « aficionados » de la vie amerloque, la vision que j’eus de cette ville est un cauchemar sans nom. L’architecture de ces villes est d’une laideur repoussante. Le moins que l’on puisse dire, c’est que leur souci d’esthétisme, en matière d’urbanisme est nul ! On met le métro aérien sur des piliers d’acier qui traversent les rues, les pâtés d’immeubles aux murs de briques d’un gris poussiéreux, et d’une tristesse à faire chialer un napolitain amoureux !
Pour parfaire le tableau, j’arrivais donc, dans le bureau de Mister Gluth, et comme il se doit, dans un vieil immeuble cradingue en brique rouge. Il me présenta à ses collègues et me fit les honneurs de son lieu de travail. Sordide et conventionnel à souhait ! Il y avait même le classique, « l’éternel » poiscaille empaillé avec son rostre vengeur, l’œil vitreux qui trônait au-dessus de nous ! Il avait l’air de se « tartir » sévère ! Et devait regretter son océan natal autant que moi, ma banlieue parisienne !
Oh ! La ! La ! Que je passais là des moments « passionnants » !
Heureusement, même les cauchemars ont une fin, et nous repartions le soir vers la banlieue qui m’apparaissait soudain, comme un « jardin d’Eden » oublié, après ces séjours forcés au purgatoire de cette ville industrieuse.
Monsieur Gluth avait une curieuse habitude quand il conduisait sa voiture. Bien que déjà d’un certain âge, il écoutait une musique à faire avorter un troupeau d’éléphantes enceintes.
Ça hurlait, ça criait, cela se voulait sûrement moderne et la page, mais c’était une vraie torture pour tympans ordinaires, à base de débauche de décibels !
Un jour, n’y tenant plus, je lui demandais, fort civilement, si c’était réellement ses goûts musicaux !
_Non mon cher « Djirareux » mais ça me tient éveillé ! ça me permet de ne pas m’endormir au volant ! C’est une question de sécurité !

Ah ! ça ! On ne risquait pas de piquer une petite ronflette !
J’arrivais donc à la maison, un acouphène bourdonnant et tenace dans les oreilles, mais….éveillé !
De temps en temps, avant d’arriver, on se faisait une petite escapade dans les environs, car Mister Gluth avait un « vice » inavouable et inavoué pour les ….sucreries ! Vice qu’il devait farouchement cacher à miss « choucroute », comme on cache une maîtresse !
C’est ainsi que nous nous retrouvions, tous les deux, les deux seuls adultes, à faire la queue au milieu de moutards qui ne devaient pas avoir plus de dix ans, et qui nous arrivaient à peine à l’estomac, devant un marchand de barbe à papa ou de pop corn !
Je bénissais le ciel, dans ces moments-là, pour que mes copains d’enfance, et surtout mes potes de régiments, ne me vissent pas dans cette situation pour le moins ridicule.
Mais en franchissant le seuil de la maison, j’avais encore droit au sempiternel :
_One day more, one dollar more !

vendredi 28 mars 2008

Les petits ruisseaux…

Un matin, comme des milliers de citoyens provisoirement impécunieux, je dois passer à ma banque pour retirer un chéquier.
Ma femme me dit :
_Profites-en pour retirer 50 euros !
J’entre dans la succursale où attendaient déjà quelques assoiffés de pognon, comme mézigue ! Cette banque récemment privatisée, n’est pas notre banque habituelle.
J’ai oublié la carte bancaire correspondante, mais pas celle de ma banque habituelle.
Comme je passe au guichet, je ne m’inquiète pas de ce détail sans importance !.
Je m’emmerde un tantinet en attendant mon tour, et mes yeux traînent un peu partout !
Même pas une belle petite croupe, un beau petit rangement à fruits bien mûrs et bien ronds pour se rincer les mirettes et faire passer le temps!
Que des mâles pas engageants !
C’est alors qu’ils tombent (mes yeux ! Pas les mâles !)
sur une affiche présentant les barèmes des opérations bancaires.
Et qu’y lisent-ils ?
« Les retraits de liquidités effectués au guichet et qui pourraient l’être dans nos distributeurs automatiques sont facturés 5 euros » !
Des yeux à mon cerveau, il se passe toujours un « certain temps » !
Et puis dans les grandes carcasses comme la mienne, l’influx nerveux est plus lent à circuler ! Surtout un samedi matin, quand vous êtes encore « ensuqué » par les « folies festives » de la veille !
Mais quand je comprends « enfin » que pour pourvoir retirer le pognon que m’a réclamé ma charmante épouse, je dois « cracher au bassinet » exactement 10% de la somme en plus, la révolte gronde sauvagement dans ma cervelle !
Silencieusement, rassurez-vous !
J’ai alors pris mon nouveau chéquier, mais je suis allé à l’autre banque, à cent mètres de là, retirer « gratuitement » mes 50 euros !
Enfin « gratuitement » ?
Je commence à avoir des doutes !
Les banques ?
Une belle machine à arnaques !
(J’ai failli oublier le « s » à « arnaques » !)

samedi 22 mars 2008

Un instant magique

Qui n’a pas connu le brouhaha joyeux, et les cliquetis des couverts, dans un self-service d’entreprise ?
Le mien se situait au deuxième étage de l’aérogare d’Orly.
Un jour, je m’y assois comme d’habitude pour « claper » en paix, avec deux ou trois collègues.
A deux mètres de nous, un vieux noir mangeait solitaire, la tête penchée sur son assiette.
Sa salopette bleue, d’une crasse indéfinissable, indiquait qu’il devait travailler dans quelque service d’entretien peu glorieux.
Son air lugubre et triste n’attirait pas l’attention.
C’est vous dire, si dans l’insouciance de notre jeunesse nous n’y accordions pas plus d’importance qu’au portemanteau sur lequel étaient accrochées nos affaires !
Soudain, alors que nous devisions sûrement sur
un sujet « vachement » important pour nos jeunes cervelles, un son incongru et puissant sembla sortir de nulle part.
Le vieil homme noir se mit à chanter.
Sa voix profonde et grave monta dans la pièce, comme un cataclysme imprévisible.
Il chanta le plus beau « negro-spiritual » que je n’avais jamais entendu.
Vous dire que la salle entière fut pétrifiée dans un silence quasiment religieux serait d’une banalité touchante. Ce fut pourtant le cas !
Même ces connes de mouches restaient immobiles sur leur morceau de sucre !
Il chantait avec une émotion, une conviction, un lyrisme à faire chialer une armée de policiers chinois ! Toute la détresse d’une histoire tragique nous sauta à la figure, nullement invitée dans nos petites vies douillettes et tranquilles.
Nous fûmes plongés instantanément dans les champs de coton de la Louisiane
Il ne s’était même pas levé pour chanter, et semblait le faire uniquement pour lui-même, en ignorant les gens qui l’entouraient.
Quand les dernières notes se turent, le silence qui suivit marquait encore notre profond bouleversement. Mais une déflagration d’applaudissement vint l’interrompre brutalement.
Alors, « l’artiste improvisé » se leva, salua la foule avec politesse et déférence, puis se remit à manger, comme si tout cela n’avait pas la moindre importance.
Certains vont encore renauder en pensant que cet incident banal ne mérite aucune attention.
Pour moi, plus de trente longues années après, il m’émeut encore !
Faut-il être bête ! N’est-ce pas ?